J’avais quinze ans quand Gary Gilmore a réclamé qu’on exécute sa sentence et qu’on le fusille. À cette époque (1977), la peine de mort était à toute fin pratique disparue aux États-Unis depuis une dizaine d’années, et nombreux étaient ceux qui pensaient qu’il n’y aurait plus jamais d’exécutions américaines.
Mais Gary Gilmore avait passé la majeure partie de sa vie en centre de redressement ou en prison, près de 22 années sur les 33 qu’il a vécues, et il n’en voulait plus.
Il en avait marre de la prison. La prison était un cauchemar. Il avait peur de la prison. Il voulait mourir. C’était la seule liberté qui lui restait. C’était aussi sa façon de se moquer d’un système de justice hypocrite. On l’avait condamné à mort, mais on ne voulait pas l’exécuter? Tuez-moi, disait-il, sinon je me suicide.
En 1979, le grand (et parfois grandiloquent) romancier américain Norman Mailer a écrit l’histoire de Gary Gilmore, sous le titre Le chant du bourreau. C’est la trajectoire d’un homme qui a hérité de la violence et de la haine au sein d’une famille maudite, mi-mormone, mi-escroc. Dysfonctionnelle n’est pas un mot assez fort.
J’étais un tout jeune homme, alors, et je me souviens des débats qui enflammaient les Américains de «bonne conscience». Accéder à la demande de Gilmore, c’était ouvrir la porte au rétablissement de la peine de mort. Fallait refuser la mort à un homme qui la désire pour en sauver d’autres? Depuis, bon an mal an, aux «States», on tue près de soixante criminels par année.
LE MAUVAIS FILS
Or Gary Gilmore avait un frère qui s’adonne à être le rédacteur en chef du Rolling Stone Magazine. Mikal Gilmore a écrit un livre sur l’histoire de sa famille, intitulé Un long silence (Sonatine éditions, 565 pages) et c’est… terrible.
Formidablement raconté, précis dans les souvenirs, juste dans l’évocation, retenu dans le ton, le petit frère de l’autre remonte dans le temps pour saisir dans ses pages les mythes fondateurs d’une famille marquée par le sort et à ce point accoutumée aux sévices que la violence lui semble une donnée de base de l’existence.
S’il y a quelque chose de remarquable dans Un long silence, c’est que son auteur reste dans des zones d’incertitude, l’inconfort, le malaise, on le sent tout au long. On le ressent, il a mal, il est le frère d’un assassin, qu’il aime pourtant parce que c’est son frère, et qu’il déteste pourtant parce que c’est un assassin.
Oui, c’est un livre écrit plus de trente ans après les faits, le fruit d’une lente réflexion. Et je lisais ça, quelques jours après les remous de l’affaire Cantat, cette sorte d’hystérie collective qui s’est emparée de nous et qui a polarisé le Québec culturel comme seule avait pu le faire auparavant la question nationale.
Janette Bertrand fière de son Québec, et moi vaguement dégoûté… Nous ne nous entendons pas sur le sens des mots justice, liberté, réhabilitation. Nous ne nous entendons pas sur ce qu’est la compassion.
Je ne parle pas de Janette et de moi! Nous, Québécois, dont la langue officielle a rarement été aussi sollicitée dans ses moindres replis que la semaine dernière. Et l’ampleur de la tempête médiatique et populaire prouve assez bien que nous avons des zones sensibles, et quelles ne sont pas les mêmes que voilà trente, quarante ou cent ans.
À quand une commission spéciale sur la notion du Bien et du Mal?
Car c’est de cela dont il était question, non? Qu’est-ce que le Bien, que fait-on du Mal?
De vieilles questions. Vieilles comme le monde. Mais qu’il faut pourtant remettre à l’ordre du jour à chaque génération. Pas pour y répondre.
Juste pour se rappeler que le mal existe, et qu’il est en nous. Et qu’il faut faire avec. Car comme Mikal Gilmore, nous pouvons tous dire: le Mal, c’est mon frère.
Chronique de Jean Barbe, publiée sur le site de Canoë, le 15 avril 2011.