Ce texte de Pierre Foglia (La Presse, 12 mai 2011) rappelle que le monstre sommeil en chacun de nous et qu’il ne faut pas grand chose pour le faire surgir… ce sujet me passionne.
Un type raconte sa vie et on reconnaît la nôtre. Elle l’a trompé et il raconte comment il a réagi. On le trouve presque raisonnable. On a déjà fait pire que lui. On a crié, insulté, supplié, pleuré, on a téléphoné à 4 h du matin, on a menacé: je vais te tuer et je me tuerai après.
On n’a tué personne. Lui, si. Il a tué ses deux enfants.
Sa femme avait témoigné avant lui. On s’est reconnu aussi. On tient les deux rôles plusieurs fois dans une vie: celui qui laisse, celui qui est laissé.
Un type raconte sa vie, on pourrait raconter la même. La fois qu’on a passé la nuit dans la rue, garé devant l’appart de son nouveau chum. La fois qu’on est allé chez sa mère pour lui dire que sa fille était une ceci et une cela. La fois qu’on a fait irruption comme un vrai fou dans son cours, à l’université, pour lui rapporter ses skis. Tiens, tes crisse de skis, débarrasse. Elle les avait oubliés dans l’appentis, sur la galerie.
Je ne connais pas de gens qui ne se soient pas conduits comme des idiots quand l’autre leur a dit: c’est fini, j’en aime un ou une autre. Cela n’a rien à avoir avec l’éducation qu’on a reçue – on n’apprend pas ces choses-là, ni à l’école ni dans sa famille. Après deux ou trois fois, on finit par suivre la recette qui nous a permis de survivre la dernière fois. La mienne, rudimentaire: s’abrutir de travail pendant un an. C’est à peu près ce que ça dure pour tout le monde, un an.
Je ne connais pas de gens qui ne se soient pas conduits comme des idiots, mais bien sûr, je n’en connais pas non plus qui se soient conduits comme des criminels. C’est ce qu’il y a de fascinant dans le procès du Dr Turcotte.
Un type qui a tué ses deux enfants parce que sa femme l’a quitté raconte sa vie, et on reconnaît le gouffre dans lequel il était. On a été dans le même, quelques fois. On se dit: merde, la cloison est drôlement mince entre lui et moi, entre lui et ces millions de gens qui vivent une séparation.
Un procès utile en cela qu’il fait bouger le monstre en nous, nous rappelant qu’il est là, tapi. On l’a dompté plusieurs fois parce que, bien sûr, on est bien plus fort que le Dr Turcotte. N’empêche qu’il est là. Il suffirait d’une dépression, il suffirait qu’on craque pour qu’il prenne le dessus et nous tue et nos proches aussi.
Même s’il a commis un crime épouvantable et qu’il doit être jugé, nous savons tous que le Dr Turcotte n’est ni un criminel, ni un fou. Juste un monstre comme vous et moi
Pierre Foglia, La Presse, 12 mai 2011
Monsieur Foglia,
Je tiens d’abord à vous féliciter pour votre superbe carrière, car j’ai eu souvent beaucoup de plaisir à vous lire au cours des denières années, comme la plupart de mes ami(e)s.
Mais aujourd’hui, je dois réagir.
Aujourd’hui, vous m’avez déçue.
En vous lisant, je suis d’abord consternée… je relis… ma stupéfaction fait bientôt place à un autre sentiment, plus violent, plus envahissant.
Je suis tout simplement offensée, voire même outrée; j’ai peine à contenir ma rage en lisant la conclusion de votre texte…
Par le ton de tolérance et d’empathie qui transparaît dans votre rédaction.
Au début, comme beaucoup de vos lecteurs sans doute, je me reconnaissais avec amusement dans les anecdotes que vous décriviez.
Je fais effectivement partie, avec regret mais sans honte, de ceux qui déplorent mais assument certains comportements plutôt pathétiques lors de blessures d’orgueil ou de promesses d’amour trahies.
Mais je REFUSE de comparer, même de loin, ces petits faux pas de ma vie à l’abominable crime commis par ce monstre.
C’est un infâme individu, assez imbu de lui-même pour considérer, ne serait-ce qu’un instant, que l’affront qu’il a subi méritait un tel châtiment.
Les seules personnes qui peuvent être « comparées » à ce monstre, ce sont ces hommes qui lèvent une main violente sur les femmes ou les enfants, et ce, pour QUELQUE raison que ce soit.
Il est regrettable que votre chronique ait si maladroitement dérapé vers la fin… Turcotte EST un CRIMINEL, loin d’être fou c’est vrai, et il doit être perçu comme tel, jugé comme tel, et puni comme tel.
Et la pire des sentences ne se « comparera » jamais, non plus, au sort atroce qu’il a choisi de faire subir à deux petits anges sans défense, qui lui vouaient une confiance et un amour inconditionnel.
NON, un tel monstre ne sommeille pas en chacun de nous.
Un tel monstre, c’est rare et heureusement que ça l’est.
Bon courage à Isabelle, la troisième victime du monstre… et sa cible.
Ysabelle