stage d’écriture – jour 2/2

Vrai ou faux ? Biographie ou fiction ? Deux des quatre variations suivantes sont inventées. Un lecteur peut-il le discerner ?

Quand j’atterris à Paris ce jour-là, je suis livide. Je rentre d’Afrique, mais je ne suis pas bronzée. Je n’ai à peu près pas dormi des dix jours passés au Bénin. Je suis en plein divorce, j’ai rencontré un homme improbable moitié fou, moitié Dieu, que j’entends bien revoir au plus vite.

Mon amie Valérie m’attend, fidèle comme à l’accoutumée. Elle m’accueille, les valises sous les yeux et le sourire éteint. Ses enfants n’ont pas fermé l’œil de la nuit. Elle est morte de fatigue. Son mari, atteint d’une grave maladie génétique est de plus en plus malade et requiert chaque jour des soins plus longs.

Elle écoute l’ébauche de ma nouvelle histoire d’amour avec bienveillance et un manque flagrant d’intérêt. Je dois récupérer mes propres enfants le jour même et nous devons passer quelques jours chez Valérie. Malgré sa désapprobation et sa fatigue, elle accepte de garder mes petits la nuit, me laissant le plaisir de retrouver mon amant.

Je ne mesure pas la chance que j’ai de recevoir une telle offre que j’accepte volontiers, faisant fi des principes élémentaires de savoir-vivre. Quand je reviens, quatre jours plus tard, Valérie est d’une froideur polaire. Je ne l’ai jamais vue comme ça. Elle m’adresse à peine la parole et détourne le regard quand elle croise le mien. Les seuls mots qu’elle prononce sont pour mes enfants à qui elle demande de préparer leur valise. Elle est muette et je ne parviens pas à distinguer ce qu’elle pense : elle semble fâchée contre moi, plus que fâchée même. Au moment de la quitter, alors que j’essaye de lui faire la bise, Val grommelle en partant vers sa cuisine : « ce type est fou, il ne te fera que du mal. »

Sur le pas de la porte, son mari, assis dans sa chaise roulante m’attrape le bras : « tes petites n’ont pas dormi. Elles ont pleuré, juste pleuré… tout le temps. Elles pensaient que tu ne reviendrais pas. Ça a été très dur pour nous. Tu aurais quand même pu donné signe de vie ! » je ne suis jamais passé aussi près de perdre ma meilleure amie.

*****

Quand Valérie et moi atterrissons à New York ce jour-là, nous sommes euphoriques. Enfin nous allons découvrir l’Amérique. Nous ne tenons plus en place et l’hôtesse de l’air doit nous rappeler à l’ordre à plusieurs reprises. Nous avons 20 ans, l’avenir devant nous et peu de dollars en poche. Notre visa touristique ne nous autorise pas à travailler.

A peine arrivées dans Manhattan, nous partons nous promener malgré le décalage horaire et les excès de cigarettes et d’alcool pendant le vol. Nous empruntons Broadway vers le sud quand un homme directement sorti du film Rabbi Jacob nous aborde. Il tient un gros citron dans une main et une branche d’olivier dans l’autre. Il se plante devant le superbe Val dont la rousse chevelure et la haute taille font tourner les têtes et lui débite plusieurs phrases que nous ne comprenons ni l’une ni l’autre.

On se regarde, complices, en éclatant de rire, prêtes à repartir. « English ? » nous lance-t-il sur un ton interrogatif. Nous dodelinons de la tête, quand il reprend à l’adresse exclusive de mon amie : « Do you want to marry me ? » Le What conjoint que nous répliquons sort du cœur. « Oh, you’re not Jew ! » rétorque, dépité, notre interlocuteur, avant de reprendre tenue, sourire et bienveillance pour trouver l’épouse parfaite. C’est pas beau ça, à peine débarquées, déjà demandée en mariage !

*****

Quand j’arrive à l’aéroport pour récupérer Valérie et ses hommes, je devine tout de suite qu’il y a de l’eau dans le gaz. Ils font tous les trois des têtes d’enterrement alors qu’ils viennent passer trois semaines de vacances chez nous à la campagne. Val cherche résolument à s’éloigner de son mari et profite de son attente des bagages pour me glisser un laconique : « je n’en peux plus, il m’exaspère, on s’est encore engueulé dans l’avion. »

Je sais que depuis un bout de temps, sa vie de couple est orageuse. Handicapé de longue date, son conjoint est extrêmement exigeant et réclame beaucoup d’attention. Ancien comédien, il refuse son état et s’attend à rester le centre du monde… ce qu’il était avant l’arrivée du bébé. Aujourd’hui, bien que le petit grandisse, il reste encore très dépendant de sa maman ; autant de temps en moins pour le père qui le fait fréquemment savoir. Le séjour commence donc sur le ton de l’aigreur. Les attaques volent bas et Val se sent écartelée entre ses deux mâles. Elle a peu de temps à me consacrer et je la regarde s’assombrir avec tristesse.

Quelques jours plus tard, alors qu’une troisième amie nous rejoint, un incident accentue la dynamique familiale. Tandis que tout le monde croit le petit endormi pour la sieste, on découvre en entrant dans la chambre, qu’il joue tranquillement avec les médicaments de son père de joyeuses gélules multicolores hautement toxiques pour un enfant de son âge. Panique à bord. Nous avons tous perdu notre sang-froid, persuadés que le bébé, qui s’était mis à pleurer en entendant nos cris, avait ingéré une ou plusieurs pilules.

C’est à ce moment précis que Val a explosé. Elle naturellement calme et conciliante, est partie dans une tirade cinglante sur l’immaturité et l’incompétence de son mari, son nombrilisme extrême et son ego surdimensionné. J’ai vaguement essayé d’intervenir, mais comme je partageais secrètement ses propos féroces, je suis restée sagement à compter les points dans mon coin.

*****

Dès que nous sommes arrivées à San Francisco, Valérie et moi nous sommes donné une mission : vivre comme si nous étions natives de la ville. Dans notre tête, cela signifiait qu’il fallait rapidement en découvrir tous les secrets, améliorer notre niveau d’anglais, trouver du boulot, etc. Val, bien décidée à me montrer la méthode la plus efficace, n’y est pas allée par quatre chemins. Elle s’est rapidement trouvé un petit ami qui, du jour au lendemain, est donc devenu notre guide officiel. Il nous emmenait dans les parcs, à la plage. Avec lui, on traînait sur les quais, on faisait du vélo. Bref, il faisait de son mieux pour nous intégrer, faisant particulièrement preuve d’ingéniosité le soir.

Guitariste, il jouait dans plusieurs groupes. Il nous emmenait à chaque spectacle, nous permettant ainsi de côtoyer la vie festive jusqu’à 3h du matin – heure de fermeture des bars et des clubs – alors que nous n’avions pas l’âge légal. Un soir, alors que Val s’était endormie dans notre appartement, porte verrouillée, et que j’avais bien sûr oublié mes clés, je suis allée retrouver son amoureux dans la boite où il jouait se soir là. Nous retournons chez moi et essayons par tous les moyens de réveiller Val… Rien n’y fait. Alors Bill, c’est son nom, me propose de dormir chez lui.

Qu’à cela ne tienne, je l’ai suivi. Sa chambre consistait en un lit, une commode, un micro lavabo et un petit réfrigérateur. La fenêtre, obstruée par un climatiseur, donnait sur un mur. Galamment, il m’a offert son lit et s’est installé par terre. Très fatiguée, je me suis endormie quasi instantanément, pour être réveillée peu de temps après par la main de Bill caressant le haut de mon dos. Très bel homme, musicien, il était parfaitement irrésistible, mais il était aussi le compagnon de ma meilleure amie. J’ai fait la morte. Je n’ai pas bougé d’un pouce. Je crois même que j’ai arrêté de respirer. Je me suis dit qu’il allait finir par se lasser. Et oui, sans réaction de ma part, et peut-être avec un soupçon de culpabilité, il s’est arrêté et s’est endormi à son tour.

Au lever du soleil, j’ai pris mes affaires et je suis rentrée chez moi où Val, enfin émergée du sommeil profond, est venue m’ouvrir au premier coup de sonnette. Un peu plus tard, au petit déjeuner, sans rien lui raconté de ma nuit, je lui ai suggéré de changer de méthode d’intégration. Déjà lassée de notre rythme beaucoup trop dissolu à son goût, elle a convenu avec moi qu’elle devait sûrement changer de petit copain.

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