stage d’écriture – jour 1

À partir d’un nom inventé, imaginer un personnage, sa biographie, puis une scène de sa vie…

*****

C’est l’automne. La chasse vient d’être ouverte. Philippe Baudroie déteste les chasseurs parce qu’ils représentent une surcharge de travail. Entre les accidents et les blessures, les urgences des hôpitaux sont débordées et il doit travailler plus. C’est la seule période de l’année où il est maussade. Même pas en colère, ce n’est pas dans sa nature. En plus, on vient de lui annoncer que la jeune droguée dont il s’occupait vient de se suicider avec les médicaments qu’il lui fournissait. Non seulement l’objet de son fantasme vient de mourir, mais il se sent coupable. C’est la première fois que ça lui arrive. Évidemment, il mouillasse et pour une raison qu’il ignore, il a oublié son parapluie.

Il monte dans la vieille Citroën que sa mère lui a donné quand elle a arrêté de la conduire. Tant qu’elle roule, il ne voit pas pourquoi il devrait s’en séparer. La consommation excessive, très peu pour lui. Et puis, il y a ce nouvel appareil photo à focale macro très sophistiquée qu’il aimerait se procurer… ce n’est pas le moment de changer de véhicule.

Sa voiture diesel démarre en crachotant. Il part pour se rendre vers chez sa première patiente, une vieille fille impotente et diabétique à qui il fait des injections d’insuline. Il doit emprunter plusieurs routes de campagne à travers champs avant d’arriver à l’autoroute. Ça le rend très nerveux. À cette période de l’année, les chances de percuter un animal poursuivi se multiplient proportionnellement au nombre de chasseurs présents sur les terres. Pour un peu, il grognerait. Il n’a rien de particulier à dire contre la chasse tant qu’elle est encadrée et réglementée. Tuer un animal pour le plaisir ne l’excite pas. Chacun son truc quoi. Toutefois, il n’apprécie pas vraiment l’attitude suffisante et rustique d’une majorité de chasseurs.

Il roule donc doucement, prêtant particulièrement attention quand les boisés d’un côté de la route font face à une vaste étendue de l’autre côté. Une rivière serpente le long du bas-côté. Il aperçoit un de ses voisins qui passe en tracteur au loin. Les voitures roulent beaucoup trop vite à son goût et il n’est pas mécontent de les voir obligées de ralentir quand un camion recouvert de bottes de foin sort d’un chemin de terre et s’avance sur la route. Devant lui, une puissante voiture de sport rouge attire son attention. Il n’est pas fréquent de voir une Audi S8 sur les chemins de campagne éloignés de tout véritable centre urbain générant ce type de véhicule. Ce n’est pas qu’il s’intéresse particulièrement aux voitures, mais celle-ci dénote clairement, même pour un profane.

Il est encore perdu dans ses réflexions – pourquoi sa jeune patiente a-t-elle mis fin à ses jours – quand la voiture fait une embardée. Son cerveau enregistre le mouvement inattendu et fatal du bolide. En une fraction de secondes, la voiture fait un tête-à-queue, percute un arbre, part sur le toit et vrille vers la rivière qu’elle traverse avant de s’immobiliser dans l’étang d’un agriculteur. Le sang de Philippe Baudroie se fige dans ses veines. Son cœur s’arrête quasiment de battre. La poussée d’adrénaline qui le secoue est fulgurante. Il est loin de sa routine quotidienne. Le temps s’arrête. Il stationne sa Citroën, descend en courant vers la S8 qui se remplit. Il a de l’eau jusqu’à la taille, ses pieds s’enfoncent dans la vase. Il tente de distinguer les passagers tout en frappant sur les vitres. Dans un moment de lucidité – il est clairement en état de choc – il repart vers la rive chercher un objet contondant. Il ne trouve qu’in morceau de bois. Il court maintenant dans tous les sens. L’infirmier a perdu toute trace de sang froid et il sait pertinemment que chaque minute compte. Soudain il entend les cris des chasseurs. Il devine qu’ils ne sont pas loin. Il se précipite, chute plusieurs fois en se prenant les pieds dans les racines, se relève, repart précipitamment. Philippe Baudroie est dans une vie parallèle. Il se voit en héros, en sauveur, et cette image lui donne une vitalité avec laquelle il n’est pas familier. Soudain il a 18 ans et retrouve les pistes d’athlétisme sur lesquelles il aimait s’entraîner la nuit, quand personne ne pouvait le voir. Une fois, un vrai athlète voulant impressionner sa copine du moment, l’avait surpris et chronométré. Ses temps traduisaient un talent caché. Mais un homme comme Philippe Baudroie ne fait pas d’athlétisme. Il a peine à rêver sa vie, alors… une médaille.

Soudain, les chasseurs sont devant lui. Ils reconnaissent leur pâle camarade de classe. Philippe leur arrache un fusil sans prendre le temps de donner une explication et repart en sens inverse. La voiture est maintenant sous l’eau. L’habitacle est sombre. Il frappe de toutes ses forces avec la crosse, rien. Il essaie avec le canon, toujours rien. Pas même une vibration. Monté sur le capot  submergé, il utilise le fusil comme un bâton de golf. Encore une fois, rien ne bouge. Loin dans son cerveau, une idée apparaît : ce sont des vitres renforcées. Une seule solution, tirer dans la carrosserie en espérant qu’elle ne soit pas blindée. Un coup, deux coups, le recul est tel qu’il se retrouve assis dans la vase.

Les chasseurs alertés par les coups de feu rejoignent rapidement les lieux. L’un d’entre eux a une barre à mine avec lui. Philippe n’a pas la présence d’esprit de se demander pourquoi. Ils se mettent successivement à heurter les parois de la voiture pour finalement faire exploser une vitre en un étonnant geyser de boue et d’eau…

à suivre

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