stage d’écriture – jour 2

7 portraits librement inspirés de personnes croisées dans la rue.

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Jacqueline et Sylvie se connaissent depuis l’enfance. Jacqueline est aussi maigre que Sylvie est gironde. Sylvie essaye de se cacher des regards depuis 50 ans, Jacqueline s’exhibe depuis le même nombre d’années. Leur point commun : un maquillage saturé. Jacqueline n’existe qu’au travers des deux cercles de raton laveur qu’elle peint au khôl autour des yeux au fond de ses orbites. Son amie préfère les paupières excessivement fardées de bleu dont l’épaisseur dépasse tout juste celle de la couche de fond de teint terra cotta.

Bien sûr, leurs différences s’affichent aussi dans leurs vêtements. À côté de la blonde Jacqueline perdue dans son tailleur jupe de toile beige, les seins de la brune Sylvie débordent d’un tee-shirt léopard ultra moulant tandis que ses hanches sont engoncées dans une jupe de satin noir déjà courte, encore relevée sur les cuisses.

Les deux femmes travaillent ensemble. Depuis des lustres, Sylvie dirige le bordel où Jacqueline fait de ménage.

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Hervé n’aurait pas cru qu’il en arriverait là. La vie avait joué de drôles de tours à ce quinqua légèrement bedonnant qui avait dû aller jusqu’en Asie trouver une épouse qui veuille bien de lui. Et il était là, sur le trottoir, à attendre que cette femme qu’il avait eu l’illusion d’aimer, se décide à fermer la porte de la voiture. Elle l’agaçait. D’ailleurs il n’était plus que soupirs. Des soupirs ponctuaient toute sa journée. Des longs, des courts, des discrets, des éloquents… Dès qu’il passait plus de dix minutes auprès de celle qui était encore sa compagne, il soupirait et tout son grand corps ramolli avec lui.  Ses paupières dégringolaient et tous ses rêves avec elles. Il ne l’aimait plus, il fallait se rendre à l’évidence. Il devait se reprendre en main, pensa-t-il en soupirant à nouveau.

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Michel est beau. Enfin, il se pense beau. Enfin, plus tant que ça depuis que sa dernière maîtresse lui a préféré une femme de son âge à elle. Avec son allure de quinqua bourge en vacances en Gironde : long short de toile bleu marine, polo bleu ciel, chaussures bateau, il pourrait encore la reconquérir. Mais il sait que c’est fini. Ce matin, dans le miroir, il a enfin remarqué la couleur de ses cheveux. Ils ne sont plus noirs, ils sont gris, poivre et sel l’appellation la moins déprimante.

Michel arpente la seule rue commerçante du quartier en se mordant les lèvres. Il cache sa tristesse derrière ses Ray Ban fumées. Et qu’est-ce que c’est que cette histoire d’appel masculin que sa femme a reçu en pleine nuit ? Pourquoi m’a-t-elle quitté… ses pensées reprennent leur cours… j’étais tout pour elle. Quelle déception, maintenant je vais devoir séduire les femmes de mon âge !

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Gina traîne sa laideur depuis plus de 65 ans. Et dire que ses parents italiens lui ont donné ce prénom en l’honneur de l’actrice. Peut-être qu’ils voulaient changer son destin ? Si seulement elle en avait eu un.

Gina n’est pas si laide que ça quand on parvient à dépasser l’effet repoussant de ses dents de sorcière. Elle aurait même un visage honorable de vieille dame discrète et sage. Pratiquement implantées à l’horizontal, ses dents jaunes et grises ont du mal à rester en bouche. Elles sont naturellement propulsées vers l’avant. Et cette pauvre femme qui a dû apprendre à se taire pour ne pas inquiéter ses interlocuteurs. Elle en a développé un petit sourire triste, bouche fermée, soutenu par un regard doux et mélancolique.

Elle s’est tellement battue contre elle-même pour faire oublier ce handicap qu’elle n’a même pas pris le temps d’en vouloir à ses parents de ne pas l’avoir fait traiter par un orthodontiste. Ce matin, quand elle est arrivée à la boulangerie, prête à commander sans un mot comme d’habitude, elle a été surprise par la gentillesse que dégageait le sourire de la nouvelle caissière. Perdue dans ses vêtements ordinaires de tergal vert bouteille, elle a soudainement eu envie d’essayer elle aussi. Elle a souri, juste comme ça, sans y penser. Spontanément. La boulangère l’a regardée, lui a adressé un nouveau sourire en retour en lui demandant : « et pour vous madame, ce sera quoi ? » Personne n’a crié. Personne n’a eu peur. Gina s’en souviendrait longtemps.

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Philippe, dit Filou, rapport à ses combines permanentes, a étrangement atteint les 35 ans. S’il arrêtait de fumer comme une cheminée, il pourrait espérer 10 années de plus. S’il avait une vie plus réglo, il pourrait même en rêver 10 supplémentaires.

Quand il est assis à la terrasse d’un café, sa nervosité nous fatigue tous. Il est toujours sur un nouveau bon plan qui va lui rapporter le million. Il tapote fébrilement ses doigts droits – ceux qui tiennent la clope – contre sa joue. Déjà qu’il est sec comme une trique avec son look de rocker de carnaval, mais s’il continue de ne pas manger, il va pouvoir se cacher derrière sa perruque de Dick Rivers.

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Lucie n’a que vingt ans mais déjà elle est éteinte. Soit la lumière ne monte pas jusqu’au cerveau, soit elle s’est déjà tellement ennuyée que plus rien ne l’anime, et sûrement pas son emploi de caissière. Elle regarde défiler les mémères à cabas qui grommellent sur leurs deux euros de mou pour le chat.

La jeune femme n’a aucun tonus. Tout en elle pend : ses joues blanc bidet, ses mains molles lourdement retenues par ses poignets. Engoncée derrière sa caisse, elle voit passer la vie avec lassitude, comme des vaches observent les trains.

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Simone vient d’avoir 50 ans, elle en paraît 15 de plus. Si seulement elle avait eu un vrai mari. Mais non, elle a traîné une loque toute sa vie. Forcément, ça use.

Au lieu de se faire offrir des toilettes et des bijoux par son homme, elle a dû travailler chez les autres. Ah, elle en a récuré des waters. Forcément, maintenant elle est grosse et moche et mal fagotée avec sa robe synthétique bleue striée de rayures multicolores. Elle aimerait bien avoir l’allure de ses patronnes avec leurs jolis pantalons de lin blanc et leur tricot marin. La seule coquetterie qu’elle s’autorise : ne pas porter ses lunettes de vieille. Du coup, à la caisse du supermarché, elle doit plonger le nez dans son porte-monnaie pour compter ses sous…

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