Quelle histoire! La rentrée a eu lieu le 5 septembre dernier: notre fils est allé à l’école du village. Pour notre fille, une épopée commençait.
Dans notre village, il y a une école. Elle est jolie, l’école, non? Beaucoup des nouveaux arrivants venus d’autres régions – du Nôôôrd, par exemple – ont choisi le village pour son école: 100 élèves, 5 classes double-niveaux, une cantine gastronomique, pas un cm2 de béton (sauf sous le préau), de la prairie, des arbres, des bâtiments vitrés sur 4 côtés, pas de clôture juste une haie.
L’école a failli fermer – comme 1300 autres cette année – parce qu’elle n’atteignait pas le 130 élèves acceptable. Le maire a fait preuve de beaucoup de diplomatie et de subtilité pour rappeler qu’un plan quinquennal de rénovations avait été approuvé en 2010 et qu’il serait vraiment dommage de fermer un établissement où des travaux – validés par toutes les instances décisionnelles – étaient en cours. Fiou, nous avons gagné au moins une année… jusqu’à quand?
Évidemment, dans une si petite école, l’ambiance est bien particulière. Les parents se connaissent tous, les enfants se connaissent tous, même s’ils ne se côtoient pas. Le matin, le midi, le soir, tout le monde s’embrasse, papote, prend des nouvelles. Même quand on ne se connaît pas, on se salue, on se sourit. À part le jour de la rentrée où les pères volaient la vedette, ce sont les mères qui se croisent deux à trois fois par jour. Même quand ils demeurent assez près, peu de gens marchent – nous sommes à peu près les seuls : tout le monde arrive en voiture. C’est comme les chiens. Les chiens en France restent au pire, à l’intérieur, au mieux, dans le jardin. Nous sommes en pleine campagne et personne promène son chien, sauf les chasseurs qui baladent leurs épagneuls et autres setters la truffe au vent, et nous. Du coup, ça jappe, aboie, hurle à la mort à notre passage. Ben oui, pauvres bêtes, il y a de quoi être jaloux. Il y a même une espèce de sale roquet qui attrape le grillage de toutes ses dents de nabot et tire dessus comme un forcené, espérant peut-être gagner sa liberté à coups de crocs. Il est redoutable. On se dit qu’un jour, à force, il va y laisser ses croquettes – ce sont de petits crocs, référence ici – et nous ne sommes pas sûrs que les proprios lui fourniront un dentier en remplacement. Mais je digresse!
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L’école donc. Un directeur sympathique qui enseigne et quatre maîtresses. Notre fils est dans la classe de la roussissime Carole. Je l’ai rencontrée, à sa demande, quelques jours avant la rentrée pour expliquer le cas de notre fils. Elle semblait gentille, vive, curieuse et ouverte. Je lui ai fourni des livres sur la dyspraxie, j’ai offert quelques conseils, proposé quelques trucs et voilà. Trois semaines plus tard, les qualités de l’enseignante se confirment. Elle adapte son cours de CP (cours préparatoire ou 1ère année) pour notre petit, ne se sent pas dépourvue, cherche des idées pour faciliter ses apprentissages. Et comme il lit déjà en syllabique et qu’il se ballade en maths, il est en avance sur les 5 autres élèves de son niveau. Du coup, il est enfin valorisé. Il n’est plus en exclusif échec scolaire. J’en ai les larmes aux yeux. Comble du bonheur, personne ne le rejette: les filles l’aiment déjà beaucoup et les garçons l’interpellent pour jouer avec lui. Et bien sûr, tout le personnel de la cantine l’adore: il est le seul qui mange comme quatre et trouve les repas tellement bons!
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Pour Mam’zelle Chose, autre histoire. Comme elle vient d’avoir 11 ans, j’ai cru bon de l’inscrire en 6e (secondaire 1). Devant l’afflux des enfants venant de l’étranger, le ministère de l’Éducation a jugé bon d’évaluer tous ces petits afin de leur trouver le collège le plus approprié pour leur niveau de scolarité. Bien. En avril dernier, j’ai donc contacté le CASNAV (Centre Académique pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage) pour prendre un rendez-vous pour le test de ma fille.
– « Ah non madame, pas de rendez-vous tant que vous n’êtes pas sur le territoire. Quand arrivez-vous? »
– « En juillet. »
– « Dommage, nous serons fermés pour les vacances. Rappelez avant la rentrée »
J’appelle, j’appelle. Aucune réponse. Découragée, je finis par contacter l’Inspection académique qui m’indique que « ouh la la, le CASNAV n’ouvre pas avant le 31 août »… Avec une rentrée le 5 septembre, je commence à paniquer. Finalement, je parviens à joindre la secrétaire. « Ah madame – pourquoi est-ce qu’elles commencent toutes comme ça, avec ce ton misérable de celle sur qui le monde vient de s’effondrer – ah madame, donc, nous avons cette année des records d’affluence, je n’ai pas de place pour le test avant le 10 octobre… »
Quoi? La rentrée le 5 septembre, pas de place pour le test avant le 10 octobre. Et je fais quoi de ma fille pendant ce temps-là? Et elle le vit comment elle; Elle change de pays, d’école, d’amies, de niveau, de système…. en prime, elle va devoir attendre un mois et demi avant d’intégrer, ou pas, le collège. On nage en plein délire. À force de gémir, la secrétaire « tort le cou à son calendrier » – « parce qu’elle a été scolarisée en français » – et dégote un rendez-vous le 19 septembre. C’est mieux, mais ça ne marche pas. Notre fille endure un niveau de stress très élevé et nous ne comprenons pas: c’est une bonne élève dans une école québécoise, elle est Française, il nous semble que l’État a l’obligation de scolariser tous les élèves de la République…
Finalement Fred se pointe au collège et demande à rencontrer le chef d’établissement. Rarement a-t-il entendu une telle mauvaise foi… « Mais non monsieur, ce n’est pas grave, d’entrer au secondaire trois semaines en retard… » « Ah non monsieur, c’est la loi, je ne peux pas prendre votre fille tant que nous n’avons pas les résultats du test…. » « Mais monsieur, les équivalences universitaires entre la France et le Québec portent sur des niveaux académiques beaucoup moins difficiles… »; Nous avons rappelé le CASNAV, l’inspection académique, le collège… rien à faire.
Quand notre amie P. a eu une suggestion: » Et si vous mettiez votre fille à l’école du village en CM2 (cours moyen 2e année)? Elle serait bien là, avec son frère, à 100m de la maison, pas de classe le mercredi… »
C’est en plein questionnement sur les tenants et les aboutissants d’une telle décision que j’ai appris, sur le site du Consulat de France à Montréal, que le CM2 est l’équivalent de la 6e année de primaire où notre fille serait entrée si nous étions restés à Montréal. Ecco. Le directeur était ravi d’inscrire une nouvelle élève, monsieur le Maire, aussi. Restait à convaincre notre fille qui voyait dans ce choix un retour en arrière. Ça c’était avant de connaître Magali Etcheverry, l’étonnante maîtresse. Je l’ai écrit : « …Centrée sur l’élève, qui les valorise, qui aime son boulot, qui s’investit mais reste totalement lucide, qui est – encore – motivée, qui rêve, qui est belle, qui est Basque, qui surf, qui parle plein de langues, qui a des tatouages et un percing et qui se fout – même quand elle n’a pas le choix de les appliquer – des normes et autres règles débiles du Ministère et qui le dit aux parents. » Et bah voilà, elle est pas belle la vie. Pour ajouter vingt sous à la musique, j’ai proposé de participer à l’organisation du voyage de fin d’année à… Bilbao. Pour une Basque, comment croyez-vous qu’elle a réagi?
Aujourd’hui 19 septembre, notre fille passait finalement son test d’évaluation du CASNAV à Bordeaux. Il faudra attendre les résultats puis la décision de l’inspection académique puis du collège; En attendant, Mam’zelle Chose s’éclate à l’école, elle a plein de copines, n’a que des bonnes notes et prend la vie avec le sourire. Le choix sera dans son exclusif camp quand nous auront vent des décisions prises en haut lieu. D’ici là, sur les judicieuses recommandations de mes copines dans l’enseignement, je vais te leur pondre une petite lettre comme j’aime les écrire. Pas sûre que le Ministre va apprécier.
Wow… l’efficacité du système me laisse pantoise. C’est fou quand même, toute cette lourdeur administrative! Pas étonnant que le moral ne soit pas au plus haut ces temps-ci dans notre doux pays! 😉 Bon, ça a l’air quand même pas mal sympa, là où vous êtes!