une année en Gironde 28 – Plume noire

16e Salon du livre de la Plume noire : deux journées de discussions autour des femmes, du 21e siècle, de leur engagement, de leurs attentes, de leurs rêves. Des femmes motivées et fonceuses qui donnent envie de se sortir de son confort quotidien pour aller vers les autres, pour croire et porter nos valeurs malgré les difficultés. Une vraie inspiration.

Dans une ancienne vie professionnelle – il semblerait qu’on doive en vivre au moins trois aujourd’hui – je me suis barbouillée d’Afrique. J’en mangeais. D’abord comme critique et journaliste, ensuite comme consultante sur des forums, puis comme membre de jurys dans des festivals, etc. Le Devoir, Nuits d’Afrique (musique), AfriCultures, Le Botanique, le 1er Festival des arts et culture vaudous (Bénin), Musiques Multi-Montréal, Coup de coeur francophone, le  Marché des arts africains (Côte d’Ivoire) et surtout Vues d’Afrique, le festival de cinéma pour lequel j’ai oeuvré à différents titres. Je baignais tellement dans la culture africaine, que je me suis rapidement fait cataloguer: je n’étais bonne qu’à « ça ». J’ai donc décider de troquer le tiroir dans lequel on m’avait rangée pour l’humour, en inscrivant « nègre » comme profession sur mes cartes d’affaire d’alors. Parmi toutes les entrevues que l’on m’a accordé, les plus intéressantes se comptent parmi celles des Youssou N’Dour, Touré Kunda, Lokua Kanza, Geoffrey Oryema et consorts. En citant ceux-là, je trahis mon âge! Bref, j’ai passé plus de 10 ans à vivre l’Afrique par personnes interposées.

Puis la vie a suivi son cours. J’ai complètement décroché.

Les 14 et 15 octobre derniers, à l’occasion du 16e Salon du livre de la Plume noire, j’ai replongé dans ce monde des arts d’Afrique et des Caraïbes… avec un immense bonheur. La fondatrice et organisatrice Dominique Loubao a beau rêver d’un événement consacré à la littérature francophone au sens large – incluant le Liban ou le Québec, par exemple – les personnes présentes au Musée de la Poste à Paris tournaient toutes plus ou moins autour de l’Afrique et des Caraïbes. C’est vrai que la remise depuis 10 ans du prix Senghor du meilleure premier roman francophone, contribue à teinter l’ensemble, sans mauvais jeu de mots…

Sur la photo (de g. à dr.) Ayoko Menssah (AfriCultures), Véronique Augier (France télévision), Tchisseka Lobelt, Feriel Berraies-Guigny (New African Woman), Rokhaya Diallo (Canal +) et Hortense Assaga (Cité Black).

Autour du thème « Femmes qu’avez-vous fait de ce 21e siècle? », Plume noire réunissait des personnalités des auteures, mais aussi des femmes actives socialement et reconnues pour leur engagement. Parmi les paroles marquantes, celles de Edwige-Laure Mombouli, jeune femme originaire du Congo, élevée à Paris, qui dirige les relations de presse du groupe NRJ depuis 16 ans. Citée dans le célèbre magazine féminin Marie-claire comme une des femmes  les plus influentes en France en 2006, elle est particulièrement concernée par L’éducation et la place réservée en France au métier d’enseignant. Elle a une reconnaissance infinie  pour l’école de la république, ses professeurs, elle à créer pour leur rendre hommage la marque et le programme : « Un jour mon prof m’a dit ». Celle aussi de Rokhaya Diallo, chroniqueuse à RTL et à la Matinale de Canal +, journaliste engagée qui n’a pas la langue dans sa poche, ou de Hortense Assaga, elle aussi journaliste et directrice de publication de Cité Black.

Je ne présentais pas de roman à Plume noire, j’animais une table ronde avec des « femmes éditrices ». Leur particularité? Tenir à bout de bras de petites maisons d’édition indépendantes. Un privilège qu’elles s’accordent et un défi quotidien qui les décourage parfois, à l’heure des amazon.com, fnac.com, et autres révolutions que la chaine du livre encaisse: tablettes numériques, formats des supports, gestion capitaliste des maison d’édition, qui laminent le marché. En résumé, sur les 654 romans publiés en septembre 2011 en France (435 écrits en français), combien sont des créations plus que des « produits » élaborés par des contrôleurs de gestion et des gourous du marketing? Ça laisse peu de place pour des romans – ils peuvent aussi être mauvais, là n’est pas la question – d’auteurs et de pays moins connus, aux marchés embryonnaires sur la scène internationale. Envoyer une cargaison de livres en France coûte une fortune entre autres, quant à les placer sur les étagères d’une librairie, oubliez ça, les grands groupes passent les premiers, etc.

Si Jutta Hepke (Vents d’Ailleurs) a déclaré forfait, ses consoeurs Suzanne Diop (Présence Africaine), Sylvie Darreau (La Cheminante) et Sara Sehnaoui (Amers éditions, Beyrouth) ont débattu pendant une heure sur les réalités de leur métier, accompagnées d’Isabelle Grémillet (Distribution Oiseau Indigo) et de Marie-Jeanne Serbin (magazine Brune).

Le rôle de l’éditeur est peu connu. On le voit plutôt comme un voleur de cachet! Pourtant, c’est une courroie de transmission essentielle qui accompagne un livre – et son auteur – de sa conception jusqu’à sa mise en marché. C’est un métier de l’ombre où l’on doit connaitre tous les rouages techniques pour parvenir à ses fins. Les éditrices que j’ai rencontré ont toutes travaillé à différents niveaux – presse scolaire, graphisme, impression – avant de créer leur propre maison d’éditions.

Ainsi, Sylvie Darreau (ci-dessus à droite, avec Suzanne Diop) qui a représenté des éditions scolaires françaises au Sénégal. « J’ai eu de la chance, les auteurs avec qui je travaillais, m’ont suivie quand j’ai démarré La Cheminante. » Parmi ses écrivains justement, l’éditrice aussi passionnée de photographie, compte Lamia Berrada-Barca, dont le livre Kant et la petite robe rouge est aussi simple que puissant. Une ode à la liberté et à l’épanouissement qui passe par le désir qu’une jeune femme immigrée, enfermée sous sa burqua, développe pour une petite robe rouge vue dans une vitrine. Un vrai coup de coeur que j’ai acheté en plusieurs exemplaires pour pouvoir l’offrir.

Autre coup de coeur, ma rencontre avec Sara Sehnaoui, la jeune fondatrice d’Amers Éditions à Beyrouth. Pour présenter le travail et les ouvrages de la maison, Sara Sehnaoui a réalisé un documentaire composé de différents portraits des artistes qu’elle diffuse. Ainsi, la dessinatrice Laure Ghorayeb dont le livre illustré 33 Jours, traduit la vision de la dernière guerre au Liban en 2006. Là encore, un document puissant qui n’est pas sans rappelé Persepolis. Etel Adnan est une écrivaine libanaise qui n’écrit qu’en anglais. Son livre Journey To Mount Tamalpais n’était donc pas accessible à celles et ceux ne lisant que l’arabe. Amers Éditions a donc publié une version traduite bilingue, illustrée des aquarelles et dessins de l’auteure. Dans le documentaire qui lui est consacré, c’est la traductrice Amal Dibo qui raconte son travail. Une entrevue bluffante. S’il est bien un métier de l’ombre: la traduction. Amal Dibo donne une vie à son art, quand elle explique combien l’arabe est une langue tellement riche qu’elle a du freiner son interprétation pour ne pas nuire à l’esprit de l’auteure. Dernier portrait, celui de la comédienne Hanane Ajj Ali qui présente le Théâtre de Beyrouth, un lieu, un espace essentiel non seulement pour les arts et la culture, mais aussi pour l’incarnation de la société. je ne me suis pas remise de ce visionnement et je rêve d’aller au Salon du livre francophone de Beyrouth du 29 octobre au 6 novembre prochain. Amers Éditions est distribué en France grâce au précieux travail d’Isabelle Grémillet qui, avec Oiseau Indigo, permet à différents éditeurs du Sud de trouver une place méritée sur le marché du Nord.

Suzanne Diop a un parcours différent. Cette ancienne cadre de l’UNESCO, a repris Présence africaine en l’honneur de son père. Alioune Diop a fondé le magazine, puis la maison d’édition, pour donner une voix aux intellectuels Noirs dans les années 40. Dans la maison familiale, défileront les Senghor, Césaire et autres Cheik Anta Diop : « En 1949, la Maison d’Edition ouvre ses portes. Elle est cet espace dans lequel, romanciers, nouvellistes, conteurs, essayistes, poètes et penseurs du Monde Noir peuvent enfin s’exprimer et voir circuler leurs œuvres.  » Aujourd’hui, Suzanne Diop tente de jongler entre l’héritage incontournable de Présence africaine, les auteurs de la relève et une gestion drastique des comptes.

Ces deux journées ont été un véritable boost d’énergie et je remercie chaleureusement toutes ces femmes inspirantes qui sont des sources intarissables de motivation.

***

Dans L’Express, on pouvait lire le lendemain:

« Douna Loup vient de recevoir le prix Senghor du premier roman francophone pour L’embrasure. L’écrivaine franco-suisse Douna Loup vient d’être couronnée par le prix Senghor du premier roman francophone pour L’embrasure, paru chez Mercure de France en septembre 2010. Elle succède ainsi à Wahiba Khiari qui avait remporté cette distinction pour Nos silences. Créé en 2006 par Dominique Loubao en hommage à l’écrivain et homme politique sénégalais Léopold Sedar Senghor, le prix Senghor distingue et promeut un auteur d’expression française qui a crée « une oeuvre de Beauté, chargée d’humanité, expressive d’un langage neuf et d’harmonies originales ».

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