« J’aime pas trop les groupes, » disait Samia. « Je travaille pour le diable, » énonçait Angélique. « J’ai senti l’appel de l’écriture, » racontait Joël. « Je voudrais développer des web-séries, » évoquait Catherine. Lundi 24 octobre, nous somme onze réunis dans une petite salle du 5e arrondissement de Paris. Six femmes, cinq hommes, chacun une histoire, chacun des attentes, un point commun: une volonté d’apprendre à écrire des scénarios, sans trop savoir ce que ça signifie. Pour nous accompagner, Jean Paul Jody dont la gouaille et la rigueur m’allumeront intellectuellement toute la semaine.
Petite déception le premier jour, le stage sera essentiellement théorique; Moi qui rêvais d’écrire… Finalement, quand les exercices pratiques commenceront le mercredi, j’en baverais assez pour ne pas en réclamer plus!
Cinq petites journées pour découvrir les rouages des scénarios de fiction. Parce qu’il s’agit ici de mécanique: on parle structure, technique, rythme, rebonds, chrono. Les termes sont en anglais – surtout en France – parce que cette mécanique huilée comme une horloge arrive tout droit des États-unis. En 1947, le général Marshall élabore un plan (du même nom) de reconstruction de l’Europe. Tout y passe, la politique, l’économie et, ce que l’on ne sait pas, la culture en général. Ainsi, dès les années suivantes, 70% des films projetés en France devront être… américains. 70%! De quoi vous faire rentrer la structure dans le crâne à coups de drames guerriers et de comédies musicales…
La mécanique s’applique à tous les genres, mais c’est dans les films d’action qu’elle se remarque le mieux. Pour en témoigner, le visionnement de Witness (1984) – ah, le beau Harrisson Ford en charpentier – et Thelma & Louise (1991) – ah le 6 packs du sublime Brad Pitt (première apparition à l’écran) – que nous découperons en courtes séquences. Des scénarios à l’efficacité redoutable qui, s’ils sont mis entre de bonnes mains de réalisateur, donneront des films à succès. Bon j’en conviens, la qualité de jeu des comédiens joue aussi. Mais le scénario est à la base de tout le « bazar » comme répètera JPJ.
Grosso modo, le film se découpe en trois moments, comme les tragédies grecques. Les américains n’ont donc rien inventé puisque Sophocle lui-même charcutait ses épopées en trois. Il n’était pas Américain, ça se saurait! Première étape: le héros vit normalement sa petite vie de héros. Deuxième étape, un événement vient bouleverser sa routine et l’obliger à se bouger le derrière pour rétablir l’ordre des choses. Troisième et dernière étape, après un affrontement des forces du bien et du mal toujours tourné à son avantage, le héros retournera à ses moutons. Je la fais simpliste, mais ça marche.
Évidemment, si le coach lit cette version condensée il va se dire que soit je suis complètement nulle, soit, il est mauvais pédagogue. Bien sûr, il faut compliquer les choses, sinon, ça devient vite ennuyeux. Alors sur un film de 120 minutes, on crée des Plot Point (amis Québécois n’y voyez rien de mal 😉 ou rebonds, un Mid-Point (dans le cours que j’avais suivi à l’Université de Montréal, on parlait du fameux « repas » au milieu du film) ou point tournant, de Climax (on parle d’orgasme ici, c’est fort tout de même) et même des Pinch (sursauts ou clins d’oeil dans l’histoire).
Tous les films ne se déclinent pas sur cette structure narrative. Le scénariste peut aussi choisir de commencer par élaborer des personnages pour les mettre en action. Thelma et Louise sont des personnages incroyables mis à la solde d’une cause féministe. En passant, Witness a longtemps été un documentaire sur les Amish, qui ne trouvait pas de producteur. En le transformant en fiction, les auteurs passent près d’une heure d’info sur cette étonnante communauté sans que le spectateur s’en rende vraiment compte. Ils sont forts ces scénaristes!
Vendredi, nous avions retenu quelques petites choses essentielles : la fin doit s’écrire dès le début (j’adore cette tournure); le personnage principal doit avoir au moins UN objectif simple et tangible à réaliser (il ne sauve pas le monde, il empêche juste l’explosion de la Tour B8); le scénariste doit absolument savoir ce qu’il veut dire….
« Il n’y a pas de vent favorable à celui qui ne sait pas où il va » Sénèque, JPJ aime les citations.
… et en fin de compte, il faut se préparer un peu, beaucoup, passionnément. Non, le scénario n’est pas une impro!
Après 35 heures passées ensemble, à transpirer de concert, à se gratter la tête en même temps et à vivre les mêmes angoisses devant l’impossibilité de trouver une suite cohérente à l’histoire de monsieur Chabanne, nous avons conclu qu’on avait passé une semaine formidable: stimulante, nourrissante, enrichissante, joyeuse et motivante. L’énorme attrait du groupe repose aussi ses effets immédiats: écoute bienveillante, rebonds sur les histoires des autres, partage et commentaires des impressions. On avance toujours plus loin. Quand le groupe est très motivé et humble, les résultats sont palpables… aucun d’entre nous sera scénariste, mais maintenant on est au courant! C’est bien sûr une boutade, mais quand on écrit un court passage et qu’il ne tient pas la route (oubli d’un personnage, incohérence de la structure, objectif imprécis, etc.), on le sait immédiatement.
J’ai donc retrouvé des concepts dont je me souvenais un peu, j’ai découvert d’autres aspects – ici, j’ai vraiment rendu une version très expurgée de notre travail – plus ou moins positifs du métier, je me suis souvenu de plein de films que je croyais avoir complètement zappé, j’ai réactivé avec lenteur mon cerveau droit (celui de l’imagination, celui qui créer des problèmes au lieu de chercher à les résoudre, c’est génial) et franchement, je me suis bien amusée en plus de découvrir un poisson que je ne connaissais pas (ascabèche???) et un délicieux resto végé…
Merci à tous.
Jean-Paul, Gaël, Catherine, Richard, Samia, Jeremy, Kamil, Elizabeth, Lila, Angélique. Joël est absent et je prends la photo.
À vous de jouer…
« Un homme débarque d’un train dans une gare parisienne, visiblement mal à l’aise et inquiet. À la sortie, il repère dans la foule un homme tenant un panonceau sur lequel est inscrite la mention en capitales d’imprimerie : « M Chabanne ». Il le rejoint, se présente et part avec lui…
Problème: il n’est pas monsieur Chabanne. »
Imaginez la suite, une intrigue avec un début, un milieu, une fin dans laquelle évolueront des personnages humainement et émotionnellement reconnaissables, associés à des objectifs clairs et tangibles et poussés par des enjeux majeurs et des motivations dramatiquement crédibles… En prime, profitez-en pour exprimer un point de vue personnel.
(question « discriminante » – l’idée étant d’éliminer 90% des postulants – pour entrer dans une prestigieuse école de cinéma)
Un chausson avec ça? Quand je vous disais que ce n’était pas de l’impro.
Si ça vous intéresse: Aleph écriture propose des stages sur tous les thèmes possibles et imaginables. La plupart se déroulent à Paris – quelques-uns disponibles en province – et durent d’une à cinq journées.