1- Trois secondes, Marc-Antoine Mathieu (Delcourt). Dieu en personne, publié il y a deux ans, avait exposé le talent de Marc-Antoine Mathieu; Trois secondes le consacre avec une intrigue étonnante et sans paroles composée d’une succession de zoom de trois secondes, soit le temps que prend une balle de revolver pour parcourir 1 km. Esprit trop cartésien s’abstenir.
2- Le fond du trou, Jean-Paul Eid (La Pastèque). Bédé présentant en son centre un véritable trou, l’objet littéraire franchement atypique marque aussi le retour de Jérôme Bigras, 15 ans après ses dernières aventures, et permet du coup de renouer avec l’intelligence de la narration de Jean-Paul Eid. Encore une fois ici, on triture les codes du 9e art, avec solidité et délire.
3- Blast, tome 2: L’apocalypse selon saint Jacky, Manu Larcenet (Dargaud). L’enquête se poursuit et s’enfonce autour de Polza Mancini, écrivain de son état, devenu itinérant et que l’on suspecte d’être responsable d’un meurtre. Par l’interrogatoire du prévenu, on remonte le fil des événements. Du moins on essaye. Il y a de l’angoisse, de la perdition, du surnaturel, et surtout le coup de crayon de Larcenet, qui vient ici épaissir un drame au trait fin.
4- Chroniques de Jérusalem, Guy Delisle (Delcourt). Après la Birmanie, la Chine et la Corée du Nord, c’est une balade en Terre sainte, vue de l’intérieur, que le génial bédéiste-carnettiste Guy Delisle propose ici avec ce récit en cases qui relate son année passée dans ce point chaud du globe, dans un quartier palestinien situé en face d’une colonie juive. Et bien sûr, le petit détail qui dit tout, qui met en lumière le paradoxe ou qui souligne les contradictions de la condition humaine est partout.
5- Mile End, Michel Hellman (Pow Pow). L’intimisme et le vécu, mais dans un autre coin du monde. Voilà ce que propose Hellman avec ses chroniques fines et amusantes qui se jouent dans cet incubateur de hipster, ce dernier bastion de la bohème, que l’on nomme le Mile End, à Montréal. Sensible, l’objet offre aussi, pour qui connaît le coin, une observation juste des lieux et de sa faune, et un délicieux divertissement pour les autres.
6- Julia & Roem, Enki Bilal (Casterman). C’est une relecture de Roméo et Juliette sur une planète en reconstruction après l’apocalypse. C’est un prêtre multiconfessionnel qui conduit une Ferrari électrique. C’est un coup de foudre tout comme la rencontre entre Bilal et Shakespeare. C’est de la couleur dense avec des traits épais. C’est la continuité d’une trilogie amorcée avec Amimal’z. Et c’est hautement texturé.
7- La bête du lac, François Lapierre et Patrick Boutin-Gagné (Glénat Québec). Nous sommes dans un petit village du Québec à la sortie d’un hiver fragilisé par le printemps. Un homme, Ovide, part à la recherche de son jumeau, Gédéon, disparu mystérieusement les mois précédents. Il y a un lac, d’autres disparitions et, bien sûr, un terreau fertile pour l’exploration d’un mythe et pour l’assemblage d’un récit ludique et efficacement mis en images.
8- Les princesses aussi vont au petit coin, Christophe Chabouté (Vents d’Ouest). Un autre fragment d’humanité livré en noir, en blanc et en douceur par Chabouté… sur une route où un couple dans la quarantaine a décidé, au volant d’une fourgonnette, de fuir le ronron de sa vie plate pour vivre la suite à 200 km/h ailleurs. Pas de chance: leur destin va croiser celui de Jorn, dit le dingo, armé, troublé, qui se dit traqué parce qu’il détient un secret compromettant pour des puissants. Et bien sûr, avec Chabouté, ça donne les bases d’une bonne histoire…
9- Radisson, tome 3: Coureurs des bois, Jean-Sébastien Bérubé (Glénat Québec). Fondée sur l’autobiographie de Pierre-Esprit Radisson, l’aventure se poursuit en bande dessinée avec ce troisième chapitre qui nous plonge dans l’été de 1658, alors que Groseilliers décide d’amener Radisson, son beau-frère, dans la baie du Nord, aujourd’hui nommée baie d’Hudson. Cela se passe hors de la colonie, de l’autre côté d’un blocus et dans un environnement où la guerre avec les Iroquois a repris. Le terrain est hostile. La suite appartient à l’histoire.
10- Paul au parc, Michel Rabagliati (La Pastèque). Retour remarqué de ce «Tintin» du Québec avec ce septième chapitre dans la vie de Paul qui place ce héros populaire quelque part dans son enfance, au temps du scoutisme, pas très loin des événements d’Octobre 70. Dans la série, amorcée par le sympathique bédéiste en 1999, cet opus n’est peut-être pas le plus original, mais la sensibilité y est toujours au rendez-vous.
L’article Les Dix meilleures bandes dessinées de l’année 2011, écrit par Fabien Deglise, a été publié dans Le Devoir le 30 décembre 2011.