Avec l’habitude de mes stages d’écriture, j’ai développé celle d’aller voir des expositions. Tant qu’à être à Paris, autant en profiter. Cette fin de semaine, j’avais plein d’idées en tête. Un hasard – un rendez-vous juste à côté – m’a conduite à Beaubourg – pardon, au Centre Pompidou. En cours, l’exposition, Paires et séries de Matisse. J’y ai apprécié l’œuvre, j’y ai découvert un artiste. J’ai retrouvé un lieu – pourtant méconnu – où, étudiante, j’avais passé de longues heures d’étude.
Quand nous étions gamines, mes copines et moi allions réviser nos cours et nos exams à la bibliothèque de Beaubourg. Toujours des beaux gosses d’histoire de l’art en champs de mire ! Aujourd’hui, la file pour l’entrée commence en matinée. Tellement tôt et tellement longue, qu’on se demande où elle aboutit. Quelque part, je me souviens aussi de la naissance du centre Pompidou. Mes grands-parents et une immense majorité de parisiens criaient au scandale. Moi, j’aime viscéralement cet endroit coincé entre les toits de Paris et les statues de Nicky de Saint-Phalle, entre les putes de St-Denis et les gays du Marais. Les hordes de touristes défilent devant le bâtiments aux lignes inattendues. Nombreux s’installent sur le parvis, proies idéales des vendeurs du temple.
Matisse, alors ? Un homme incroyable dont les nus bleus ont été popularisé par… Ikea. Une miette dans l’étendue de son œuvre. Né en 1869, il a été considéré par Picasso comme un grand rival. Il commence à peindre pendant la convalescence d’une crise d’appendicite qui a mal tourné. Matisse travaillera jusqu’à l’année de sa mort en 1954, après des séjours dans différentes villes qui contribueront, à chaque fois, à faire évoluer ses créations.
À mon humble avis de fille qui n’y connait rien, l’immense intérêt de cette exposition repose sur deux éléments inclus dans le titre : paires et séries.
Je n’expliquerais rien de précis parce que je suis totalement profane. L’audio guide – aux commentaires particulièrement instructifs – m’a promenée d’une toile à l’autre. Pour plusieurs, deux versions traduisent l’éternel travail qui anime le peintre. Plutôt qu’insatisfait, en quête d’évolution. Une approche qu’il découvre avec l’impressionnisme à la fin du 19e siècle. Souvent la première oeuvre est plus brute, traits épais, lignes incertaines, la seconde s’affine, détaille. Même un oeil ignorant voit les différences.
Ces paires extraites du catalogue de l’exposition, les photos étant interdites in situ.
J’ai particulièrement apprécié la Vue de Notre-Dame (celle de droite), peinte en 1914 et aujourd’hui exposée au Moma de NY, pour sa singularité. On y retrouve plusieurs de ces points d’ancrage : une notion d’espace assez subjective, l’utilisation de la ligne de plomb pour les tracés de perspective, une ébauche du cubisme qu’il effleurera un peu plus tard.
Dans un autre esprit, les séries au cours desquelles il fait varier « le cadre, le dessin, la touche, les couleurs » lit-on dans le feuillet explicatif. « Cette méthode n’exprime pas seulement le doute, elle est aussi pour l’artiste une méthode d’exploration de la peinture elle-même. » C’est ce qui m’a touchée : un artiste capable de remettre en question chacune de ses avancées. Un créateur qui chaque jour reprend ce qu’il a créée.
« Ce que je poursuis par dessus-tout, c’est l’expression…. L’expression, pour moi, ne réside pas dans la passion qui éclatera sur un visage ou qui s’affirmera par un mouvement violent. Elle est dans toute la disposition de mon tableau… Tout ce qui n’a pas d’utilité dans le tableau est par là-même, nuisible. » extrait de Notes d’un peintre, H. Matisse, Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, 2012.
Ne me demandez pas pourquoi ça me parle tellement. Peut-être parce que c’est la première fois que je comprends un plasticien qui s’exprime sur son oeuvre. La plupart du temps, soit ils ont beaucoup de difficultés à traduire leur art en mots, soit ils sont la proie des analystes (journalistes et autres académiciens du visuel) qui se font une joie de rendre leurs textes incompréhensibles. Matisse est simple, clair, lumineux… Un artiste à taille humaine.
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Syndrome « tanka »: tant qu’à être à Beaubourg, autant en profiter pour… visiter les collections permanentes d’art contemporain. Je me suis régalée, mais faute de bancs dans les salles, j’ai rapidement subi pieds et dos qui, rechignant de concert, m’ont rendu la visite assez courte. Décidément, cette forme d’expression m’interpelle, ou pas. Plus que les oeuvres classiques, les pièces d’art moderne peuvent me laisser parfaitement indifférente, ou me happer. Certaines me surprennent, m’amusent, parfois m’agacent, rarement me choquent. Si j’ai pris quelques clichés – autorisés sans flash – de piètre qualité, j’ai oublié de noter (honte, honte, honte, vite quelqu’un pour la flagellation) le noms des artistes et les titres. Enfin une bonne raison pour y retourner.
La première toile qui m’a fait craquer. J’ai bien tenté de retenir le nom de l’auteur, mais trois toiles plus loin j’avais oublié. Toutes mes excuses.
Nicky de Saint-Phalle s’est aussi commise à l’intérieur de Beaubourg.
Ceci est un cube lumineux en carrelage.
Quand on s’arrête à cette explosion de couleurs, on découvre des centaines de petits personnages, outils, objets, animaux disséminés, enchevêtrés dans le tableau. Cette toile n’est pas peinte, mais réalisée en broderies produites par des femmes afghanes. La précision et la qualité d’exécution sont stupéfiantes.
Amusant, non ?
Un galériste a demandé à un artiste de créer une oeuvre pour décorer sa galerie alors entourée de travaux urbains majeurs, en Allemagne je crois. Le créateur a insonorisé le lieu avec de gros rouleaux de feutre. Vraiment gros. Regardez les proportions à côté du piano à queue. Quand on entre dans la pièce qui reproduit son projet, il n’y a plus un bruit. On se sent dans un cocon, j’oserais presque parler d’utérus : c’est chaud, amorti, confortable. Il y a quelque chose de troublant dans ce ressenti intuitif. Rien de réfléchi là-dedans.