Depuis février 2012, les étudiants universitaires et collégiens du Québec sont en grève, pour dénoncer la décision du gouvernement d’augmenter les frais de scolarité de 75% en cinq ans. Tandis que le Premier ministre et la ministre de l’éducation refusent de négocier, plusieurs manifestations ont été réprimées sévèrement et la situation dégénère de jour en jour. Voici quelques textes qui invitent à la réflexion.
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Samedi soir, 22h. Après un magnifique spectacle à la Place des arts, je retourne à la maison en vélo en direction ouest sur le boulevard Maisonneuve. Arrivé à la croisée de McGill College, je suis bloqué par la manifestation nocturne des étudiants qui dénoncent la Loi 78. Après 14 semaines à être soulé par les médias à plus soif, je vais enfin voir à quoi ça ressemble.
Prenant mon mal en patience, j’observe les gens dans les automobiles immobilisées dans la circulation. Anticipant des signes d’agressivité, je constate plutôt que les gens sont sympathiques à la cause des étudiants et les encouragent en criant et en klaxonnant. Le conducteur du premier véhicule tout en avant a même baissé sa fenêtre et monté sur le cadre pour applaudir les jeunes manifestants et leur crier son admiration. Rien d’agressif. Tout est fait dans la bonne humeur. J’insiste : PERSONNE N’EST AGRESSIF, PERSONNE NE PROVOQUE QUI NI QUOI QUE CE SOIT.
Arrive un policier à cheval qui s’arrête devant l’homme sur son cadre de fenêtre d’auto. Il crie agressivement « descends de là et rembarque dans ton char tout de suite ». L’homme ose demander : « Pourquoi? Je ne fais que les encourager», ce qui est rigoureusement exact. Je rappelle que la circulation est interrompue de toute façon et que l’individu ne crée aucun préjudice à personne. Le policier réplique en haussant le ton : « tu rembarques tout de suite dans ton char ou je te donne une contravention». Très calmement, l’homme dit « donnez-la votre contravention d’abord ». Un autre policier en vélo s’approche et lui demande son permis de conduire. L’homme reste très poli et obtempère sans rechigner. Nous sommes plusieurs à être témoins de la scène, estomaqués. Pendant une fraction de seconde, je veux protester, mais je me dégonfle. Je connais la suite. J’aurai moi aussi une contravention, sinon pire.
J’ai 54 ans. Propriétaire d’une maison dans un quartier chic, deux beaux enfants, un revenu qui me place parmi les privilégiés, un emploi respectable, etc. Je ne suis pas un casseur, je ne suis pas un bobo du Plateau Mont-Royal, pas plus qu’un syndicaliste ou un militant de gauche. En fait, je n’ai pas de sympathie pour la cause des étudiants. Je fais partie de ceux qui croient que les étudiants québécois en grève n’ont pas une cause qui justifie tout ce ramdam.
Mais ce que j’ai vécu ce soir me trouble profondément. Les policiers devraient être des protecteurs des citoyens comme moi. Ce soir, j’ai clairement senti qu’ils pouvaient devenir une menace. J’ai senti qu’en ouvrant la bouche, je me les mettais à dos. J’ai senti que le seul comportement accepté par les policiers était de fermer ma gueule. Ce soir, j’ai clairement senti qu’on me retirait mes droits d’homme libre, notamment celui de demander des explications.
Ce soir, j’ai compris que l’abus de pouvoir, ça peut frapper tout le monde. Les manifestants au premier chef bien sûr, mais ceux qui veulent les encourager et même ceux comme moi qui sont de simples citoyens qui croient en une certaine justice et en la démocratie.
La Loi 78 est abusive. Il faut la dénoncer.
Cette opinion de Serge Leclerc a été envoyée à La Presse le 20 mai 2012.