J’ai 13 ou 14 ans. Je suis une petite ado – je suis restée petite – tendance joufflue. Des tâches de rousseur, l’éclat de rire facile. Je joue au tennis. Trop émotive, je suis incapable de me contrôler pendant des matchs. N’avoir aucun résultat me désole. Je trouve de moins en moins de plaisir dans ce sport, imposé par l’exigence familiale. Je nagerai.
Commence alors le cérémonial des longueurs de bassins. Une fois par semaine, parfois deux ou trois, je retrouve la vieille piscine lilloise. Les petits carreaux de carrelage omniprésents, l’odeur de chlore. Les vestiaires minuscules. La sortie dans les soirées glaciales en hiver. Heureusement, j’habite de l’autre côté du boulevard. Je n’aime pas rentrer la nuit dans ce quartier… vide. Pendant plusieurs années, je vais nager. Papillon, dos, brasse, crawl, l’ordre olympique des quatre nages. J’enchaîne. J’apprends à tourner au mur. J’apprends à plonger au départ. Je déteste ça. Me jeter tête la première dans l’eau me terrifie. Je préfère nager.
Je retrouve le même cérémonial des longueurs en arrivant au Québec. Dans la grande piscine du CEPSUM (Centre d’éducation physique et sportive de l’Université de Montréal), l’eau est très fraîche. Ici, pas de mamies frileuses. Juste des athlètes qui avancent, tournent, avancent, tournent. Le cri des entraîneurs sur le bord. L’écho sous les charpentes métalliques. Avec ma copine H. on se jette à l’eau. 30, 40, 60 minutes sans interruption, sans sourire, sans paroles. Juste des bras qui moulinent et le cerveau qui les accompagne. Le bruit de l’eau, des vaguelettes qui se forment d’un couloir à l’autre.
Puis j’en ai eu assez. Marre des yeux qui piquent, rougis façon hamster. Marre de l’odeur, des cheveux décolorés, de la promiscuité des douches, des petits cailloux sur le plancher des vestiaires, de l’urgence à se rhabiller pour partir ailleurs. Pendant presque vingt ans, j’ai renié jusqu’à l’idée de ma baigner dans le bassin d’une piscine.
Depuis un mois, j’ai recommencé. Comme le vélo, ça ne s’oublie pas. La douche avant, le pédiluve, le bonnet forcément trop serré, les lunettes qui s’embuent. En quatre séances, mon corps retrouve les gestes. Battements de pieds, allongements des bras. Respirer. Tirer l’eau plus loin. Fermer les doigts. Respirer. Les épaules s’échauffent, les muscles crient, les poumons aussi. Respirer. Mon corps entre dans l’eau chaude (28°c) des Bains de Bègles. Aucune hésitation. L’eau glisse. Je flotte. J’avance, je tourne, j’avance, je tourne. Les longueurs s’enchaînent. Je me perds dans le décompte. Pas de musique comme en course à pieds. 2K. Le buzz d’endorphine me frappe au hammam où je m’étire distraitement. C’est bon.