Première à Angoulême, la Terre Sainte des bédéistes et de tous les amateurs de 9e art. Deux heures de train, pour six de piétinage. J’en ai plein les bottes, ce qui tombe bien dans Bordeaux inondée. Je ne regrette rien, même si l’organisation de cette 41e édition de l’événement laisse à désirer…
Les qualités ? L’ambiance bonne enfant, les tonnes de BD à feuilleter dans les rayons des éditeurs, les expos (plus ou moins) intéressantes, les découvertes, la moyenne d’âge (plutôt des moins de 25 et une majorité de plus de 35-40 ans), les grappes de quinqua-intellos-bobos totalement séduisants, la variété des activités auxquelles participer, les vieux quartiers de la ville hôtesse…
Les défauts ? La déprime devant toutes les BD non lues et celles qu’on n’achètera pas ! Plus concrètement, la signalétique en ville destinée aux habitués, la distance entre chaque activité (formidable quand on a du temps, mais peu adaptée aux visiteurs d’un jour), le calendrier d’activités surchargé qui exige des choix souvent douloureux, l’hystérie « vigipirate », le manque d’ordinateur au comptoir d’information/acceuil, la folie qui règne au Salon des éditeurs et l’immense frustration des dédicaces…
Comme je ne veux pas juste critiquer – c’est fondamentalement inutile – j’ai quelques propositions : installer des plans d’ensemble dans la ville, en plus des longues affiches rouges qui ne détaillent qu’un lieu à la fois; laisser des ordinateurs aux différents bureaux d’accueil pour que les conseillers sachent de quoi ils parlent (le site Internet lui, est très bien fait); ne pas mettre tous les éditeurs principaux (Delcourt, Futuropolis, Casterman, Dargaux, etc.) dans le même Salon. D’une part, ça « obligerait » les visiteurs à se déplacer pour rencontrer leurs auteurs et illustrateurs favoris, d’autre part, ça élaguerait les files d’attente pour les dédicaces.
Oui, je suis frustrée : trois tentatives, trois échecs. Guérideau (Charly 9), Davodeau (Le Chien qui louche) et Philippe Sobrak (Les Légendaires, pour ma fille fan inconditionnelle comme tous les 11-14 ans). À chaque fois, alors que j’arrivais au milieu de l’horaire réservé pour les dédicaces de l’auteur… pouf, « terminé madame, il n’y a plus de places ». « Mais ma petite dame », me dira une caissière en souriant, « nous recommandons de venir une heure avant le début pour avoir une chance! ». Je récapitule. J’y suis six heures, j’aimerais trois dédicaces… J’y passe la journée ?
Je me demande aussi comment les bédéistes, habitués par excellence à l’ombre de leur atelier, vivent ces feux de la rampe. Des files d’attente de rock stars. Et pour chacun un dessin, un petit mot. Essoufflant, mais assurément un baume bienfaisant sur les affres de la création solitaire. Enfin, qu’est-ce que j’en sais moi ?
J’aurais aimé dire à Guérideau que son travail inspiré du roman de Theulé (Charly 9) m’avait complètement bluffée, avec ses références historiques sur la vie de Charles IX – roi sans envergure manipulée par sa mère Catherine de Médicis. La précision des illustrations et la découpe du scénario reflètent à s’y méprendre les turpitudes du 16e siècle : l’horreur de la Saint-Barthélémy, le langage ordurier du roi, la violence quotidienne, les méandres diaboliques du pouvoir…
J’aurais voulu saluer Davodeau pour le plaisir que m’a apporté son délicieux Chien qui louche. J’ai souri à chaque page de cette histoire improbable d’une famille de rustiques provinciaux qui rêve d’installer au Louvres le tableau du grand-père.
…
J’aurais échangé quelques instants avec Quino, et soufflé avec lui les 50 bougies de Mafalda, sa brillantissime héroïne. La petite fille au carré noir n’a pas pris une ride. L’exposition qui lui est consacrée présente de manière très ludique, le parcours atypique de ce personnage né en Argentine, en 1964.
« Raisonneuse et dérangeante, Mafalda n’a de cesse de dénoncer le dysfonctionnement et l’hypocrisie qui l’entourent. Et par les questions qu’il lui fait poser, Quino parvient à faire de la petite fille, la mauvaise conscience d’un monde d’adultes frappé par un mal terrible : la résignation, » lit on sur un des panneaux. La structure de l’exposition et l’iconographie choisie sont adaptées. Seul bémol, la traduction miniature des bandes (strips) originales, laborieuses à lire en 12 points !
une quinqua tellement moderne !
« Quelle adulte deviendra Mafalda ? Le personnage semble incarner la difficulté à se construire comme modèle dans un monde dénué de modèles. «
Au sous-sol de l’Espace Franquin, les Hollandais s’affichent live. Les illustrateurs des Pays-bas travaillent en direct dans un vaste espace. Presse, encre, papier collant, chips et biscuits… tout est là pour faciliter une création en public.
Je n’ai pas évoqué le Transperceneige (1985), l’oeuvre de Lob et Rochette, adaptée au cinéma en 2013, par le réalisateur coréen Bong Joon-Ho. Avec des superpositions planches originales, des séries de portraits au fusain des principaux personnages, des story board du film, et un vidéo rappelant la vie de l’auteur Lob, l’exposition – courte mais diablement intéressante – consacrée à cette BD futuriste, m’a occupée plus d’une heure avec grande joie.
Partout dans la ville, des affiches pour une expo ou une autre… Ici, Geluk, que je ne verrai pas… faute de temps.
Ah, l’espoir d’une dédicace fait transpirer tous les aficionados présents. Quel peut bien être l’emploi du temps des collectionneurs ?
La tendance est assurément à l’illustration assistée par ordinateur. Les tablettes utilisables sur le stand de Wacom ont un franc succès. Les plus petites permettent un accès facilité à Photoshop (avec un stylo), les plus sophistiquées autorisent les dessins sur l’écran. Enfin, cette bête technologique se détaille pour 3000 euros. Et contrairement aux éditeurs qui n’accordent pas le moindre rabais sur les prix de vente pendant le Festival – je ne sais pas moi, un petit 10% dès la 2e BD achetée, l’entreprise Japonaise joue le jeu et baisse ses tarifs.
Un Mickey grandeur nature : 10990 euros. Oui, madame.
Mafalda n’est pas la seule à souligner son anniversaire. Mais la joyeuse Sud-américaine fait figure de gamine devant les 80 ans de Mickey, soulignés dignement sur la place de l’Hôtel de ville.
Mais voyons, c’est bien là qu’aurait dû traîner Davodeau, l’auteur talentueux du Chien qui louche et de Lulu Femme nue, dont l’adaptation cinématographique vient de sortir en France. Quelle bête, j’ai oublié le nom de cette guinguette musée qui expose les planches originales des deux oeuvres. J’ai pourtant adoré l’ambiance simple et un peu vieillotte du lieu. J’y aurais pris un thé…
À l’expo, les Chiens qui louchent apparaissent dans plein de couleurs différentes…
Encore un coup des Hollandais. J’adore.
Finalement, j’arrive aux pieds de la cathédrale. C’est joliment beau.
Je ne le connaissais pas. Voici Ernest, le microbe ami de Rebecca. Vedette incontestée des moins de 6 ans !
Natacha, indémodable, toujours tendance dans les rues de la cité…
Au-delà de la proximité de Bordeaux et d’Angoulême, j’avais plusieurs raisons d’aller au Festival cette année. D’une part, j’ai réveillé mon sincère amour des BD endormi depuis trop longtemps, d’autre part, l’organisation de l’événement est menacée par des coupures budgétaires drastiques et des querelles intestines qui pourraient en avoir raison. Quel dommage.
Enfin, il est impossible de trouver une chambre sur place pendant le Festival. Les premières disponibles, dans les dernières semaines, sont à plus de 40 km. Les participants sont logés à la même enseigne. Les habitants qui s’improvisent logeurs temporaires prenant un peu les visiteurs pour des vaches à lait, offrent des « chambres » à des prix largement supérieurs à ceux des hôtels 5 étoiles. Je ne suis pas certaine de la stratégie, mais ça ne m’empêchera pas de tenter de revenir l’an prochain…