Ce matin, il râle. Comme d’hab’ finalement.
Franchement, depuis qu’elle le connait, la dame de compagnie ne l’a jamais entendu autrement. Il râle sur la douleur de son épaule, son incapacité à dormir à cause de la douleur à l’épaule, l’austérité des Allemands qui vous savez se foutent franchement de notre gueule, la goutte d’eau qui risque de tomber sur son plancher de châtaignier vous savez ce bois qui s’abîmerait forcément, le prix des vitres double vitrage vous savez qu’il faut acheter à l’autre bout du pays pour les payer moins cher, la douleur de son épaule… et il recommence, en boucle. Ça fait longtemps que sa femme et sa fille l’empêchent de se répandre et passent à autre chose. Mais elle ? Elle est devenue son témoin favori, son public otage, son entonnoir à plaintes.
Waouh. Elle ne sait pas si c’est dans sa nature profonde, ou simplement le fruit de l’opération à l’épaule droite en cette jeune soixantaine, mais il geint sur tout et son contraire en permanence.
Toutefois, elle doit reconnaître que c’est dans la sublime maison de monsieur B. qu’elle a découvert qu’elle aimait repasser. Pour échapper aux jérémiades. Dans la pièce, là-haut, entre l’atelier d’artiste, l’espace violoncelle et le mouroirs des poupées. Vue sur le jardin. Moment zen. Le fer gavé de vapeur qui glisse sur les draps, les torchons, les gants de toilette. Oui, ils repassent tout, ces gens. Tout, sauf les sous-vêtements. Après, chacun son kiff, elle ne juge pas. Elle s’en fout, en fait. Et puis ça change de la serpillère. Mais ça, c’est une autre histoire…