Ce matin, monsieur P est tout perdu. Il voit Yvette, mais ne la reconnaît pas. Il la prend pour Camille, Véronique, Lucie. Il lui prend la main, la complimente, lui dit qu’elle est jolie et douce. Mais qui est-elle ?
Il perd pied Maurice. Chaque jour un peu plus. Il égrène quatre-vingt dix années à rebours, recule lentement mais sûrement, dépasse systématiquement les dix dernières années. Que dirait-ils des dix derniers mois, dix derniers jours qui s’effacent toujours plus rapidement ?
Il s’en fout. Il préfère raconter les heures passées à danser avec la belle inconnue. Élégante, intelligente, drôle, et danseuse de tango et autres valses endiablées. Il la courtisait avec humour et philosophie. Elle ne devait pas céder aux premiers émois. Non. Attendre patiemment. Attiser les ardeurs. Cultiver l’amitié. Ils étaient mariés, chacun de leur côté. Ils ont dansé pour se perdre dans les rythmes tourbillonnants. Il se souvient…
– Maurice, j’ai une idée. Appelez-nous toutes de la même manière… Appelez-nous « chérie », vous ne vous tromperez plus !
Madeleine, la femme de Maurice, regarde Yvette en gloussant. Mais ça, c’est une autre histoire.