Cette idée de traverser sans regarder ! Les parents le répètent aux enfants : à gauche, à droite… et à gauche. Trois fois plutôt qu’une. Mais lui, à son âge, personne pour lui rappeler les bases, celles qui ne s’oublient pas, le vélo, la ceinture de sécurité.
Et le voilà maintenant, piteux. Vieil ours mouillé au fond de son lit d’hôpital. Il fait moins le malin l’homme pressé.
La voiture roulait sans doute un peu sous la limite. Normal en sortie de virage. C’est là qu’il est sorti du bois. Devant les roues. Choc. Crissements de pneus. Tôle froissée, os craqués. Le pare brise explose sous le poids du corps percuté. Personne pour entendre le hurlement de la conductrice, happé par celui, lourd, de l’homme qui retombe inanimé.
Il a de la chance : aucun souvenir. Les policiers qui le croient morts; les pompiers qui s’activent. Les infirmiers qui le réaniment. Pas d’hélicoptère, juste une ambulance finalement. La traversée de la ville au rythme effréné de la sirène. Il aimait la vie, il est vivant. Il vivra. Cabossé, amoché, écorché, mais complètement présent.
Sa bonne constitution, son entraînement à vieillir, son instinct de survie l’accompagnent vers la lumière. Les bips des machines, le froid des sondes et des tubes, le clignotement des témoins, le sourire des infirmières, la parole des médecins, l’hôpital l’accueille.
Sa vie reprend. Elle sera plus lente maintenant, mais c’est une autre histoire.