La Journée du boeuf gras de Bazas est un événement hors du temps. 729e édition aujourd’hui. Non, je ne me suis pas trompée. Comme toute cérémonie ancestrale, elle répond à des codes séculaires. Pour le coup, pas question que ça change. C’est très bien comme ça, parce que la tradition… ça a du bon!
Souvenez vous du film, Le Bonheur est dans le pré, on entendait cette réplique mémorable : « Beuh, c’est pas gras le confit ». Il s’agissait d’oie. Et bien imaginez que contrairement aux volatiles de basses-cour, le boeuf peut-être gras, surtout quand il est Bazadais. Je crois l’avoir déjà écrit, mais les Bazadaises (je parle des vaches, ici) me donnent envie de devenir végétarienne. Oui, moi. Elles sont trop belles avec leur robes gris-taupe. Ça tombe bien, les vaches sont bonnes pour le lait. Bon après, le boeuf gras, c’est pas pareil, lui, on le bouffe.
Le boeuf gras se prépare selon le rythme suivant : à 6 mois, le jeune taureau est enlevé à sa mère, castré, puis nourri en étable pendant 4 ans, d’une manière spécifique (« secret » des éleveurs), jusqu’à sa maturité en tant que boeuf gras du Jeudi-Gras (le jeudi précédant le Mardi-gras). Les critères d’évaluation du boeuf sont les suivants : longueur du dos droite, bosse à l’encolure, culotte arrondie, poids à l’abattoir, arrière de la cuisse rebondie, et, caractère indispensable, des cornes bien plantées. (…) Tous les boeufs ne peuvent être engraissés, cela dépend de leur goût pour la nourriture et de leur capacité à la digérer. On connaît la bête personnellement. (explique l’éleveur M. Manseau).
En prévision du jour J, les éleveurs les lavent soigneusement, les brossent, rasent la partie de la cuisse de façon à mettre en évidence la masse musculaire, ils les encouragent et les apaisent. Puis ils les harnachent d’un licol, d’une couronne de fleurs confectionnée en général par leurs femmes. Ils fixent l’étiquette (rosace) porteuse du nom de l’éleveur et du boucher qui s’occupera de l’apprêter après l’abattage, après quoi ils les attacheront à l’arrière du char, tiré par le tracteur. Il s’agit là d’une véritable reconstitution d’un moment de la vie des éleveurs ou de ce qu’ils souhaitent délivrer comme message, de la même façon que les chars de carnaval se veulent une scène ambulante des significations multiples du carnaval : la fécondité de la nature, le printemps, la fécondation et la prospérité des hommes de la cité.
Le Jeudi Gras, les boeufs sont pesés. Ils défilent, comme les hommes, au son des fifres et tambours (ripataulèras) [Cf. Fiche « ripataulèras »], et sont sélectionnés sur la place de la ville pour être classés au concours dirigé par un jury, dont la confrérie des boeufs gras fait partie.*
* Extrait de l’enquête « Élevage de boeuf gras Bazadais » de Christine Escarmant-Pauvert – Mission Institut Occitan 2008-2010
En expatriés que nous sommes, nous avons assisté jeudi 16 février, à notre première Fête des boeufs gras.
En 1283, BAZAS est l’une des premières cités d’Aquitaine et capitale prospère des « petites landes ». À cette époque Edouard 1er, roi d’Angleterre règne sur l’Aquitaine. Dans le cadre du partage des pouvoirs avec l’évêque, le Duc décrète que chaque année le 24 juin à l’occasion de la Saint-Jean, les bouchers de la ville doivent offrir au clergé un taureau. En compensation, les bouchers ont le privilège de promener leurs boeufs dans les rues pour le Jeudi gras, invitant les populations locales à se réjouir et à festoyer. Depuis, la « Fête de Boeufs Gras » se perpétue.
Pendant la matinée, les éleveurs se rencontrent et se préparent. À chaque coins de la place, des BBQ qui vendent des entrecôtes et autres côtes de boeuf. Comme nous sommes arrivés après midi, nous ne les avons jamais vus. Et pour cause, les propriétaires étaient tous prêts pour la pesée. Les boeufs sont apportés en camion. Les descendre ressemble à un exploit. Ça bouge ces grosses choses. Les pauvres bêtes ne sont habituées ni au bruit ni à la foule ni… au mouvement. Soudain, après des mois de plumard, le jour de leur mort, elles doivent marcher. C’est pas une vie!
Le premier boeuf, ci-dessus à gauche, pesait 890 kg à 3 ans. Un beau bébé, quelque peu stressé par l’enthousiasme de la foule… Oups, un petit dégât sur sa belle robe grise ! Les trois grâces (1ère photo) pesaient près de 3 tonnes…
Je savais que nous étions dans un pays de « viandards ». La journée du Boeuf gras ne risquait de me faire mentir. Mais j’ai découvert que lorsqu’on parle de barbaque, on s’adresse à une foule essentiellement masculine. Des tablées entière trinquant à la castration des bêtes sûrement, qui donne un si bon goût aux contrefilets…
Surtout, une occasion comme une autre de picoler… Ouais, on est en France, un pays où quelle que soit l’heure ou l’occasion, lever le coude a toujours du bon!!
Quand, comme nous, on rate les BBQ géants des éleveurs, on se rabat sur la seule cantine extérieure. Tous les restos faisant leur choux gras avec des menus débitant la star du jour.
Le menu ressemble à « sandwich à l’entrecôte, frites, beignets – dits merveilles – et verre de vin (plus qu’acceptable) » pour 12 euros (environ 10$). Nous en avons pris 2 pour 3 et n’avons jamais été capables de tout manger! (sur la photo, un demi… sandwich)
Vers 14h, le défilé à proprement parler commence. D’abord l’orchestre avec les tambours et les fifres (ne pas oublier le R)…
… les danseuses en costumes traditionnels…
… et les vedettes, les échassiers. De 7 à 77 ans pratiquement. Bien sûr, j’exagère. Les plus jeunes ont une dizaine d’années…
… un peu plus tôt, nous avons croisé les ados. L’un d’entre eux buvait un verre de vin. Nous avons fait une blagounette sur le vin et les échasses et l’équilibre, tout ça. « Pas de soucis » nous a-t-il répondu. Il a failli se gaufrer pendant le spectacle final !!!
L’aire d’arrivée devant la tribune d’honneur… Enfin on se calme, parce que tout ça reste très bon enfant. Personne ne se prend pour un autre. Les vedettes ont quatre pattes et finissent en tranches. Même l’animateur qui répète ses tirades du lever au coucher du soleil d’une année à l’autre reste finalement… anonyme.
Un seul marquera les mémoires du Boeuf gras 2012. Hercule, une bête de métal dont la queue bat la mesure… étonnant. À l’image de ce rendez-vous unique.
Vu que je suis au Maroc où mes amis gnawa viennent de sacrifier une vache et quelques moutons, que les tanneurs de Marrakech ont, eux sacrifié une chamelle près du mausolée du saint Moulay Brahim, que par ailleurs, et c’est là que certaines traditions populaires sont très intéressantes, voire passionnantes, un mosaïste algérien m’a raconté qu’à Cherchell (Algérie), l’ancienne Césarée de l’empire de Maurétanie, on a pour coutume de faire défiler un boeuf paré de tissu rose une fois l’an à l’occasion, si je me souviens bien, du Mawlid -comme aussi, dans pas mal d’endroits au Maroc, me dit Malika- , je t’envoie ce lien : http://www.cosmovisions.com/$BoeufGras.htm que tu as sans doute déjà consulté… on n’en sait jamais trop. Bises marocaines. Pierre
Mince! (apprécie la blague au passage stp) Tu devrais proposer une chronique internationale à La Terre de chez nous. Signé: celle qui sait de quoi elle parle :))