Ce matin, faut que ça brille ! Les mamies font des fixettes. C’est comme ça. Surtout aujourd’hui, se dit Yvette. Surtout les plus de 90 ans, lui répond son naturel caustique.

La fixette, ou idée fixe, a ceci de particulier qu’elle n’est pas fondée. Sinon, elle deviendrait légitime, et Yvette s’y plierait sans sourciller. Non, la fixette sort de nulle part ailleurs que de l’esprit vaporeux de la vieille dame.

Aujourd’hui, donc: « Yvette, il faut que tout brille dans cette cuisine-salle de bain-chambre; Vous voyez – cochez le choix du jour – les vitres, la porte, la commode… Frottez-moi ça ! Ma belle-fille, belle-soeur, belle-mère m’a dit que c’était un peu sale quand même. Moi, quand je m’en occupais, ce n’était pas comme ça, je récurais et ça brillait. »

– Oui, madame!

Que dire d’autre ?

La cuisine a mille ans, les meubles ont la patine, qui enrichit des antiquaires. La chambre n’est fréquentée que par des pantoufles propres, et des araignées peu connues pour la saleté de leurs pattes. La salle de bain a été nettoyée la semaine dernière, et vous y êtes seule, quinze minutes au réveil. Non, ce n’est pas sale; Oui, vous voulez avoir une prise sur ce quotidien qui vous échappe. Un dernier pouvoir sur la vie qui file un sale train.

– « Yvette, quand vous tartinez les biscottes, faites attention au miel qui coule partout. Il y a des gouttes, on met les pieds dedans, et on en répand partout dans la maison…  »

– « Oui, madame, mais… »

Pas de mais qui tienne, ce jour-là. Aucun argument pour expliquer qu’il est physiquement impossible qu’Yvette soit à l’origine de la catastrophe. Autre caractéristique de la fixette : sa gravité existentielle. Les gouttes de miel vont polluer la nonagénaire jusqu’à leur nettoyage séance tenante. Le problème tourne en boucle. Inacceptable.

Oui, madame, conclue Yvette l’éponge à la main. Ça pourrait être pire, mais ça, c’est une autre histoire.