« …pour la complétude du dossier, veuillez nous faire parvenir… » J’ai reçu un courriel de France qui commençait comme ça. Ça ne s’invente pas. C’est bien simple, j’en ris encore. Complétude? Mais ça n’existe pas ce mot. Et bien, si. Selon Larousse, c’est la propriété d’une théorie déductive, non contradictoire, dans laquelle toute formule est décidable; Eh bé… tu m’en diras tant. Il y en a une autre aussi : propriété pour un espace d’être complet. Mieux. Reste que franchement, l’employée de l’Académie de Bordeaux aurait pu écrire… « pour compléter votre dossier », ça aurait fait le travail, la job comme on dit ici.
J’avais oublié, et ça ne fait que commencer, vu que nous ne sommes pas encore débarqués en Hexagone. Les Français et les mots compliqués, administratifs ou corporatifs à souhait. Les Français et le vocabulaire soutenu qui fait du bien à l’oreille – surtout sur France Inter – mais que personne comprend sans jamais oser l’avouer. Les Français qui utilisent des mots anglais parce que ça fait tellement tendance! Les Français qui ergottent sur tous les mots et vous prennent la tête parce que vous avez mis de côté une toute petite nuance fatigante. Les Français et les milliers d’acronymes…
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Il y a quelques jours, prise par l’enthousiasme, j’ai contacté nos amis qui habitent Bordeaux, notre futur fief donc. Ce sont des Français, qui se sont exilés au Québec quelques années, avant de repartir en France il y a 7 ans. J’ai demandé candidement comment c’était passé leur retour… K. m’a largement recommandé de lire : Sixty Million Frenchmen Can’t Be Wrong: Why We Love France but Not the French, de Jean Benoit Nadeau, un Québécois qui a passé deux ans en France pour comprendre comment ce pays fonctionne malgré un mode d’emploi parfaitement obsolète.
Pas facile, de dire donc notre ami K. Il faut ré-apprendre le quotidien, les rôles, les codes. Pour nous qui sommes au Qc depuis plus de 20 ans – 25 ans pour moi – ça risque d’être sport. Je n’ai envie de me prendre la tête ni avec la mauvaise humeur, ni avec les engueulades, ni avec les horaires, ni avec les fonctionnaires. Mais visiblement, on se remet très vite à râler… ce qui, dans mon cas, ne s’est jamais vraiment complètement arrêter.
Toutefois, à ce jour, tout se passe bien. Même le passage au Consulat général de France à Montréal s’est bien déroulé, c’est dire. Pour leur défense, les administrateurs des lieux ont beaucoup modifié l’organisation. Par exemple, aujourd’hui, pour obtenir un passeport, il faut prendre rendez-vous. Sur le coup, c’est ennuyeux, mais finalement, ça évite les 4 heures d’attente parfois infructueuses. Madame la fonctionnaire au look très très français, tendance rustique-bonne-vivante-de-province-plutôt-au-nord-de-la-Loire, s’est avérée tout à fait sympathique. Quatre ans au Québec, et heureuse d’y vivre. En 50 minutes, tous les formulaires et documents étaient remplis pour les enfants et moi, photos prises. On peut sourire – sans les dents quand même – sur les photos de passeport. Une révélation parce qu’au Canada, interdiction absolue de ressembler à autre chose qu’une lutteuse est-allemande. L’air de boeuf noir et blanc est obligatoire.
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Côté formulaire, il reste la complétude du dossier du petit. Là encore, c’est un mal pour un bien. Notre petit loup est dyspraxique. Un handicap neurologique au nom barbare probablement conséquent à son manque d’oxygène à la naissance. De la même famille que les dyslexiques, les dysphasiques ou les dysorthographiques, les dyspraxiques rencontrent des difficultés à planifier ou organiser les mots, les gestes, les pensées même si ce sont des enfants brillants intellectuellement – et manuellement dans le cas du notre. Les concepts leur sont presque incompréhensibles. Les langues autres que maternelles, aussi. Bref, au Québec, peu de gens, voire personne, ne connaît la dyspraxie. Il est le premier de son école a présenter ce problème… Près d’un an et demi après son entrée en maternelle, il a eu droit à un plan d’intervention spécialisé pour encadrer ses apprentissages. Et encore, la maîtresse s’obstine à le faire écrire à la main ce qui est l’une de ses plus grosses difficultés. En France, la dyspraxie est un handicap reconnu depuis 2005. Les académies ont le devoir de mettre en place des structures d’accueil pour ces petits aux besoins différents. Madame Complétude est là pour ça. Petit loup a sûrement tout à gagner dans cette expatriation courte durée. Entre autres, le plaisir de passer une année scolaire dans une école de 5 classes et 100 élèves, au milieu de gazon et d’arbres centenaires.
Drama Queen ira quant à elle au Collège de Bazas en 6e (secondaire 1). Elle est ravie, elle va étudier l’Antiquité. C’est fou quand même les arguments qui peuvent motiver les enfants! Elle sait déjà que les élèves vont se moquer de son accent, pourtant très peu prononcé, et qu’elle ne les comprendra pas toujours.
Les grandes soeurs viendront peut-être faire leur tour mais rien n’est moins sûr vu le nombre grandissant de leurs occupations.
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Notre voisine montréalaise voit notre départ d’un sale oeil. Octogénaire improbable qui est presque née dans sa maison, elle vit seule sans enfants ou compagnon. Ancienne infirmière en ophtalmologie, M. s’occupe de ses chats, d’observer la rue, de commenter les allées et venues de chacun et de lire le Journal de Montréal. Elle semble avoir un sacré caractère, mais offre des chocolats à Pâques et des sous à Noël à nos enfants, ce qui est quand même drôlement gentil. En échange, nous déneigeons son entrée, son stationnement et sa voiture, nous sortons ses poubelles et le recyclage. Quand je lui ai annoncé notre départ, elle n’a rien dit… Mais le lendemain, elle m’a accroché dans un coin. Une fois réglé les modalités de déneigement – la voisine d’en face se chargera de la souffleuse, parce que les échangistes n’y comptent pas trop ! – elle m’a demandé pourquoi est-ce qu’on voulait aller en France. Quelle idée franchement.
Alors voici quelques raisons qui ont motivé notre folie : Se rapprocher des familles plutôt pour les petits qui veulent voir leurs grands-parents et cousins plus souvent, Retrouver mes amis (surtout vrai pour moi, Fred n’a pas ce côté tribu tellement développé chez moi), Passer un hiver au dessus de 10°C – rien que ça, c’est une raison suffisante, Découvrir une région, une ville que nous ne connaissons pas sans prendre trop de risques, S’éloigner du Québec et prendre du recul par rapport à notre quotidien, Mesurer notre capacité d’adaptation dans une réalité pas trop éloignée de la nôtre mais tout de même, Bien manger et bien boire sans y passer son salaire, Retrouver mes boutiques cultes: Carrefour, MOnop’ et DPAM en tête, Acheter du savon Petit Marseillais sans se ruiner, Se balader dans des coins inconnus et perdus, Se balader en Europe (c’est mon fantasme mais peut-être que c’est trop demander), Aller faire un tour à Essaouira et aller voir B. en Tunisie facilement, Voir DSK président…
La conclusion s’impose, tous nos amis Québécois nous disent qu’on ne reviendra pas, tous nos amis Français nous disent qu’on rentrera à Montréal en courant…
Billets d’avion achetés… Un vol direct Montréal Bordeaux sur les ailes d’Air Transat. Préparez les soutes: 140 kg de bagages autorisés, les skis, les rollers, le skate, le chien… mais je crois qu’on va oublier les vélos!