À une époque où les Roms se font chasser de tous bords tous côtés, voient incendier leurs campements, sont l’objet de rejets systématiques, aller voir un spectacle du cirque Romanès s’inscrit pleinement dans le réel, et prend tout un sens.
C’était par un magnifique dimanche. Malgré l’automne matinal, le soleil d’après-midi irradiait. On rêvait de plage, mais cette représentation était le cadeau d’anniversaire de ma fille. J’en ai profité pour inviter les copains. Je ne savais pas à quoi m’attendre, je n’ai pas été déçue ! Quant aux enfants, après l’étonnement – la déception ?, ils ont finalement apprécié plusieurs numéros.
Il y a autant de différence entre le Cirque Romanès et le Cirque du Soleil, qu’entre une 2CV et une Ferrari. L’un est à taille humaine, l’autre à dimension internationale. Le premier est aussi familial et chaleureux, que le second, est professionnel et inaccessible. Alors forcément, ça surprend.
Sous le tout petit chapiteau, on se sent presque dans son salon. En arrière de la piste, les musiciens, qui marquent le tempo pendant une heure quinze sans relâche, et les femmes, assises avec leurs enfants. Au milieu, sortis des coulisses, les acrobates, les artistes, qui défilent l’un après l’autre.
Pendant La reine des gitans et des chats, trois jeunes femmes s’enroulent sur des cordes et un trapèze, quand elles ne se lancent pas des cerceaux. La quatrième jongle. Quilles, chapeaux, parapluie à gros pois qui la transforment en coccinelle. C’est la plus « travaillée » du groupe. Longue jupe sobre de flamenco, silhouette élancée, elle multiplie les facéties. Même quand un lancer lui échappe, elle s’amuse. Esprit tout aussi ludique et léger du second jongleur, figure juvénile perdue derrière des grands yeux bleus. Eux, ce sont les pièces rapportées. Ils ne sont pas de la « famille » Romanès.
« À 25 ans, j’ai quitté le cirque familial, explique Alexandre Romanès. Il ressemblait de plus en plus à un hangar pour avions. J’ai jeté l’éponge. (…) J’ai fait mon numéro d’équilibriste dans la rue. » Des années plus tard, il redécouvre le cirque dans un camp tzigane de Nanterre. « J’ai acheté un morceau de toile, un vieux camion, quelques caravanes. (…) Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais imaginé avoir autant de succès avec un spectacle aussi simple et aussi dépouillé. »
C’est l’esprit de la famille. Les fils et filles d’Alexandre s’enroulent sur des cordes avant de se lancer dans le vide du haut du chapiteau. Une jeune femme blonde se balance sur un trapèze. Elle a plus de métier que ses benjamines. Son sourire dissimule moins la déception des erreurs. Les deux frangins l’un musclé, l’autre maigrelet, se taquinent d’un exercice à l’autre. Quoiqu’ils fassent, Alexandre les encourage. Il est fier de sa tribu, le papa bedonnant qui accueille les spectateurs et les convie à acheter son recueil de poésie (Paroles perdues, et Sur l’épaule de l’ange, parus chez Gallimard), sa collection d’histoires tziganes (Un peuple de promeneurs), des beignets et des canettes de Coca.
Enfin, le clown. Une mention spéciale pour celui qui a convaincu à l’unanimité. Le préféré des enfants : mister Bean rêveur et sensible. Encore un jongleur. Petites balles lourdes, balles de ping-pong, balles qui lui sortent par la bouche. Magicien à ses heures. Il se tord, bouge comme un serpent, en courbes et arabesques. Personnage sorti de chez Kusturica.
Mais comment oublier la musique? Omniprésente, tonitruante. Elle rythme, bat la mesure, suscite les applaudissements, soutien l’attention, retient les respirations, la musique à part entière, protagoniste joyeux, aux rares échos tristes. J’avoue, j’ai toujours eu un faible pour la musique tzigane. De l’émotion en barre.
Voilà. J’ai souri tout le temps parce que c’était authentique et sincère. Et puis vous savez, moi les histoires de famille….
note. les photos de spectacle ne sont pas les miennes, puisque il est interdit d’en prendre. Je les collectées sur Internet, la plupart ont quelques années déjà. Je n’ai pas trouvé les noms des photographes à créditer. je m’en excuse auprès d’eux.