brève de chambre

Ce matin. Excitation. Maurice. Sacré Maurice !

90 piges, 2 AVC, toutes ses dents peut-être, 1,80m au garrot, et encore quelques cheveux qui se battent en brosse blanche au-dessus des oreilles. Longues les oreilles, aiguisé le regard. Découragé l’homme quand il cherche ses mots plus qu’un instant, pour finalement abdiquer. Trois syllabes l’étreignent, le confrontent, le tétanisent, le battent à plate couture. Il doit se contenter de deux, et encore. Pourtant son langage, quand il ne le fuit pas, est sophistiqué. De ce français noble que les gens ordinaire ont eu l’honneur d’utiliser à la perfection. Précision d’orfèvre : le bon mot au bon moment.

Mais Maurice aujourd’hui se perd dans son salon et dans ses souvenirs. Seules trois idées fixes lui gardent l’oeil vif : la Résistance et le détournement des trains ennemis, les heures inavouées à danser dans les bals, et… le cul. Il ne pense qu’à ça en fait. Lubrique, il cligne de la paupière en voyant la dame de compagnie. Taquin, il lui envoie un baiser furtif.

Fais une pipe à Pépé avant qu’il ne la casse, chantait Henri Tachan. C’est ça.

Dès qu’il est seul avec elle, il commence : « ah si je vous disais à quoi je pense… » Yvette sourit.

– « Maurice, à quel âge est-on vieux ? » demande-t-elle au hasard

– « Quand on n’y arrive plus… » répond-il dans son absence de barbe

– « Je n’ai pas entendu. Alors, c’est quel âge, vieux ? » insiste-t-elle

– « Oh, je ne sais pas, 90 ans, ça me semble vieux, très vieux » hésite-t-il

– « Et vous Maurice, vous avez quel âge ? »

– « 70 ? » Il éclate de rire. Personne n’est dupe. Dans son coeur et dans sa tête, il n’a pas l’âge de l’emploi. Il rêve d’une compagne qu’il chérirait, d’une femme qu’il honorerait. « Ça dure des heures, l’amour. Et c’est si beau… »

« Pourquoi personne ne comprend ? C’est si beau, le sexe. Vous, Yvette, je vous aime. Accepteriez-vous de dormir avec moi ? »

– « Maurice, j’ai l’âge de vos petits-enfants ! »

Il suffirait de presque rien, peut-être 40 ans de moins… aurait chanté Reggiani.

Tandis qu’elle l’aide à se déshabiller, il sourit, s’observe dans le miroir – avec ou sans lunettes, que préférez-vous ? – se lave les mains. Puis c’est l’heure d’ôter le pantalon, de baisser les bas de contention, de changer de pantoufles. La proximité éveille les sens. Yvette accompagne monsieur aux toilettes. Pipi du soir. Alors qu’elle recule le fauteuil roulant…

– « Je bande »

Coup de semonce. Comment ? s’esclaffe-t-elle. Tu as très bien entendu, répond-il d’un souffle.

– « Voyez comme mon épouse pense à moi : elle me faire mettre des chaussettes pour que je n’ai pas froid la nuit. » Je la préfèrerais torride a-t-il dit à Yvette médusée, tandis qu’elle lui tendait la brosse à dents, quelques minutes plus tôt.

La dame de compagnie le salue, embrasse madame. Bonne nuit à tous les deux… mais ça, c’est une autre histoire.

 

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